L’exercice excentrique : effets sur l’adaptation neurale et physiologique

Publié le : 21 novembre 2021 à 11h16

Article rédigé par Thibaut GARÇON - MKDE

 

En rééducation, le choix du mode de renforcement est une problématique souvent sous-estimée. En effet, les changements neuromusculaires et fonctionnels induits sont spécifiques au mode de renforcement choisi. Le degré de tension mécanique, les dommages cellulaires et le stress métabolique peuvent tous jouer un rôle dans les adaptations musculaires induites par nos exercices proposés.

Parmi les trois types de contractions musculaires qui peuvent être utilisés (concentrique, isométrique et excentrique), la contraction excentrique provoque « un allongement du muscle sous tension ». Précisément, la charge sur le muscle est supérieure à la force développée par le muscle en même temps que celui-ci s’étire, produisant donc une contraction en allongement. L'exercice excentrique se caractérise par des microlésions musculaires et une plus grande tension mécanique par rapport aux contractions concentriques/isométriques et peut donc entraîner de plus grandes adaptations musculaires. Bien que toutes les formes d'exercices puissent induire une adaptation musculaire importante, il n'est pas toujours évident de savoir quelle méthode est la meilleure pour maximiser les gains d’adaptation.

 

 

Intérêt du contrôle neuro-moteur en rééducation

Un contrôle neuromusculaire correct est maintenu par un système physiologique complexe. Il est de plus en plus décrit que des déficiences ou altérations de ce système ( problème de coactivation des motoneurones, de mécanorécepteurs ou encore de mécanismes réflexes corticaux et spinaux) peuvent favoriser l’apparition de blessures musculo-squelettiques. Un consens a récemment émergé expliquant qu’une analyse uniquement centrée sur la force ne permet pas de prédire l'apparition d'une blessure primaire. En revanche, un contrôle neuromusculaire inadéquat semble être un facteur de risque causal significatif. Par exemple, des outils d'évaluation sur le terrain, tels que le Landing Error Scoring System (LESS), se sont révélés prometteurs pour prédire de manière prospective le risque de lésion primaire du ligament croisé antérieur (LCA) chez les jeunes footballeurs présentant des caractéristiques d'atterrissage anormales. L’altération de la mécanique de la hanche et du genou et le contrôle postural pendant la phase d’appui sont les facteurs de risque prédictifs les plus importants chez les personnes qui développent un syndrome de douleur fémoro-patellaire également. Par conséquent, il est nécessaire de trouver des thérapies capables d'optimiser le contrôle neuromusculaire en prévention ou en traitement des blessures musculo-squelettiques.

La nécessité d'identifier des interventions capables d'améliorer le contrôle neuromusculaire pour prévenir les blessures est probablement plus urgente après la blessure initiale, lors de la rééducation, car les patients reprennent souvent l'activité avec des déficits neuromusculaires importants qui prédisposent l’athlète à de potentielles récidives. Par exemple, dans le cas de patients ayant subi une reconstruction du LCA, les profils d'activation musculaire altérés et l'excitabilité réflexe spinale persistent pendant des mois, voire des années après l’opération.

Ces déficits neuronaux chroniques contribuent non seulement au risque de blessure secondaire, mais empêchent également un renforcement efficace, ce qui aggrave encore le risque de problématique supplémentaire (arthrose précoce…).

 

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Effets de l’exercice excentrique sur le système nerveux

Exercice excentrique et activité corticale

Lors d’une contraction musculaire excentrique, le système nerveux central utilise une stratégie neuronale différente pour contrôler les muscles squelettiques par rapport à la contraction musculaire isométrique ou concentrique. Ceci est mis en évidence, par exemple, par le recrutement préférentiel d'unités motrices à contraction rapide et des niveaux d'activation différents parmi les muscles synergiques (muscle s’activant de manière coordonnée pour le même mouvement) pendant ces types de contraction. Fang et ses collaborateurs (3) ont montrés que les activités corticales pour la préparation et l'exécution du mouvement étaient plus importantes pendant les tâches excentriques que concentriques. Ainsi, le cerveau planifie et programme probablement les mouvements excentriques différemment des tâches musculaires concentriques. Enfin, une activation corticale plus précoce peut être observée probablement du fait qu’avec un mouvement excentrique, une planification cérébrale d’une plus grande complexité de mouvement ou la mise en œuvre d'une stratégie de contrôle différente est mise en place. L’activité musculaire excentrique entraînerait donc un « boost » d’activation corticale et permettrait une sollicitation plus importante des voies centrales de planification du mouvement.

 

Exercice excentrique et comportement des unités motrices

Lors d'une contraction musculaire, le système nerveux central contrôle la production d'une force musculaire accrue en augmentant le taux d'excitation des unités motrices et/ou en recrutant des unités motrices supplémentaires. Le changement de la fréquence de stimulation des unités motrices dépend du type de contraction musculaire. En outre, les unités motrices s’excitent de plus en plus lorsqu’on ajoute de l’étirement et de la force dynamique. On comprend donc que les unités motrices s’activent moins en isométrique et plus en concentrique et encore plus en excentrique.

Un mécanisme potentiel responsable de cette activation peut être attribué aux voies de régulation neuronales impliquées dans le processus d'excitation et d'inhibition. Un blocage de certaines voies inhibitrices augmenterait les potentiels d’activations des motoneurones et par conséquent augmenterait la production de force à la suite d'un entraînement en résistance excentrique.

 

Exercice excentrique et force musculaire

Étant donné qu'une force maximale plus importante peut être développée au cours d'actions musculaires excentriques maximales par rapport aux actions musculaires concentriques ou isométriques, l'entraînement en résistance lourde utilisant des actions musculaires excentriques peut être plus efficace pour augmenter la force musculaire. L'exercice excentrique peut recruter de manière préférentielle les fibres musculaires à contraction rapide et le recrutement d'unités motrices précédemment inactives. Cela conduirait à une tension mécanique accrue et, par conséquent, à une production de force encore plus importante.

 

Effets de l’exercice excentrique sur la physiologie musculaire

De manière générale, la mécanotransduction (stimuli mécaniques induits par l'exercice) serait l’un des mécanismes associés à l'hypertrophie musculaire dans le muscle sain. Les muscles squelettiques détectent les informations mécaniques et convertissent ce stimulus en événements biochimiques qui régulent le taux de synthèse des protéines. Lorsqu'une surcharge mécanique du muscle se produit, les myofibres et la matrice extracellulaire sont perturbées, ce qui stimule à son tour un processus de synthèse des protéines. Au cours d'un exercice excentrique, le muscle est soumis à la fois à un étirement et à une surcharge qui déclenchent des dommages subcellulaires aux composants contractiles et structurels des éléments musculaires. Ces dommages cellulaires induisent une série d'événements physiologiques, notamment l'activation de voies de signalisation principales pour l'expression de certains gènes et favorise l’hypertrophie musculaire. Cependant, comme les contractions excentriques induisent une plus grande tension mécanique sur les fibres musculaires que les exercices concentriques, cette forme d'exercice induit une addition plus rapide des sarcomères en série et en parallèle et donc une hypertrophie plus rapide.

La tension mécanique produite par la génération de force et l'étirement contribue à l'ischémie musculaire qui peut conduire à des adaptations métaboliques dans le muscle squelettique. De nombreuses études indiquent que le stress métabolique induit par un exercice anabolique peut avoir un effet hypertrophique significatif. Pendant les contractions excentriques, la tension musculaire passive se développe en raison de l'allongement des éléments extramyofibrillaire, en particulier le contenu en collagène de la matrice extracellulaire qui peut contribuer à un environnement acide accru. Un tel environnement favorise la dégradation des fibres et entraîne une augmentation de l'activité nerveuse sympathique, ceci facilitant une réponse hypertrophique adaptative.

 

 


Exemple d’application clinique - L’exercice excentrique croisé
 

Dans des cas particuliers où l'exercice excentrique du membre concerné est contre-indiqué (par exemple, les phases postopératoires aiguës), les cliniciens peuvent envisager d'utiliser l'exercice excentrique croisé. Un exercice croisé est défini comme la prescription d’un exercice pour un membre controlatéral sain (en opposition à son homologue lésé), ayant un impact sur le membre touché. Ce mode d'exercice est capable d'améliorer le contrôle neuromusculaire en ciblant sélectivement les voies neurales qui sont associées à des schémas de mouvement dysfonctionnels. Comparé à l'exercice croisé concentrique, l'exercice croisé excentrique permet des gains immédiats et durables de force et d'activité électromyographique. Les gains de force obtenus par l'exercice croisé dans le membre non entraîné résultent d'une activité neuronale corticale et spinale accrue. Au niveau cortical, les avantages de l'exercice croisé résultent d'une activité cérébrale interhémisphérique améliorée, les voies réflexes spinales impliquant une inhibition réciproque (réflexe d'Hoffmann) sont réduites et contribuent à l'amélioration de la force dans le membre non exercé.

 

Conclusion

Les contractions excentriques sont importantes à prendre en compte dans les programmes d'entraînement et de rééducation en raison de leur capacité à produire une force importante avec un faible coût métabolique. Les données rapportées par plusieurs études suggèrent que l'étirement combiné à une surcharge, comme dans les contractions excentriques, est le stimulus le plus efficace pour favoriser la croissance musculaire et améliorer la commande neurale du muscle. Cela se traduit par une augmentation de l’hypertrophie musculaire, une plus grande activité neuronale et une plus grande production de force après un exercice excentrique par rapport à un exercice concentrique ou isométrique.

Ce mode de contraction est très intéressant notamment dans le cadre de situation spécifique inexpliquée : manque de développement de force rapides ou RFD (« Rate of force development »), déficit de commande neuromotrice sur des gestes simples.

  

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Crédit image: handygymfit.com

 

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Tout le contenu de cet article est présenté à titre informatif. Il ne remplace en aucun cas l’avis ou la visite d’un professionnel de santé.

 

Sources

(1) Lepley, L. K., Lepley, A. S., Onate, J. A., & Grooms, D. R. (2017). Eccentric Exercise to Enhance Neuromuscular Control. Sports Health : A Multidisciplinary Approach, 9(4), 333‑340

(2) Hedayatpour, N., & Falla, D. (2015). Physiological and Neural Adaptations to Eccentric Exercise : Mechanisms and Considerations for Training. BioMed Research International - Article sous License Creative Commons

(3) Fang, Y., Siemionow, V., Sahgal, V., Xiong, F., & Yue, G. H. (2001). Greater Movement-Related Cortical Potential During Human Eccentric Versus Concentric Muscle Contractions. Journal of Neurophysiolog

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