Revue des avancées énoncées lors de la 6ème Conférence internationale du CIO sur la prévention des blessures – Interview exclusive Dr. KHAN Karim

Publié le : 23 janvier 2022 à 10h24

Article rédigé par Nathan TOUATI et Antoine FRÉCHAUD

 

Du 25 au 27 novembre 2021, nous avons été invités par le Comité International Olympique (CIO) pour assister à la 6ème conférence sur « La prévention des blessures et des maladies dans le sport ». La conférence a lieu tous les 3 ans et se déroule sur 3 jours au Grimaldi Forum à Monaco, un lieu exceptionnel. L’organisation était fantastique.

Avant de consulter cet article, nous vous invitons à visionner le reportage scientifique réalisé à l'occasion ! 

 

 

Durant cet évènement nous avons pu retrouver nos connaissances, le Dr. Hewett, Dr. Francesco Della Villa, Dr. Natalia Bittencourt, Pedro Fagnani PT. et bien d’autres encore. La conférence était organisée sous différents ateliers :

 

  • Keynotes : Les keynotes étaient les évènements les plus importants. Contrairement aux symposiums (voir ci-dessous), il n’y avait pas d’autres ateliers en même temps que la keynote : tous les participants y assistent.
  • Les symposiums: Il s’agit des ateliers principaux dans les plus grandes salles du forum. Cela se déroule comme une conférence : le speaker se tient sur la scène et nous présente ses dernières recherches scientifiques sur une thématique choisie. À la fin, quelques minutes sont prises pour un échange si le public a des questions. 
  • Les Free Communications : Ce sont des communications libres, un échange avec le speaker sur une certaine thématique en comité réduit (15-20 personnes).
  • Les workshops: Les workshops sont des ateliers également en comité restreint, mais ces derniers apportent une dimension pratique comme la réalisation d’exercices, ou de travaux concrets, plus faciles à retransmettre en pratique.
  • La Poster Area : Plusieurs chercheurs du monde entier sont venus exposer l’une de leurs études sous forme de poster. Plus d’une centaine de posters étaient exposés, chacun des participants pouvait interagir avec l’auteur de l’étude pour un échange constructif. La pause-café se déroulait dans cet espace, ce qui permettait d’échanger, tout en savourant un café.
  • Évènements : Le Prince Albert de Monaco était présent lors de la cérémonie d’ouverture de la conférence, également le soir se tenaient divers évènements comme la « Sport Celebration night », une soirée de gala pour échanger autour d’un verre.

 

 

La parole au CIO

 

Karim KHAN

 

En exclusivité pour NeuroXtrain, l’une des figures du monde de la recherche dans le sport, le docteur Karim KHAN, membre du comité scientifique de la Conférence internationale du CIO sur la prévention des blessures et des maladies dans le sport et ex-rédacteur en chef du British Journal of Sport Medicine (BJSM) durant 12 ans, nous parle de son travail autour de la conférence ainsi que des missions du CIO :

 

1/ - S’il vous plaît Karim, pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre rôle autour de la conférence ?

Je suis Karim Khan, je suis du Canada et initialement d’Australie. J’ai suivi un MD (docteur en médecine) et un PhD (doctorat) et j’ai travaillé comme médecin spécialiste en médecine du sport et de l’exercice ; maintenant, je suis pleinement engagé dans la recherche et le financement de la recherche. J’ai publié sur les tendinopathies et les fractures de stress et leurs imageries. Plus récemment, j’ai publié dans le domaine de l’exercice pour la santé des populations fragiles (ostéoporose, personnes âgées pour prévenir les chutes), un domaine de la santé publique. Je fais partie du comité scientifique de de la Conférence internationale du CIO sur la prévention des blessures et des maladies dans le sport, nous votons sur les résumés soumis pour la conférence, nous aidons également à présider les sessions et à héberger les sessions d’affiches (ndlr : Poster area). J’ai également siégé au comité scientifique de formation de médecine « Advanced Team Physician Course » de l’équipe du CIO, il y en a eu 12 dans le monde depuis 2008.

 

2/ - Pouvez-vous nous expliquer la mission du CIO concernant la santé des athlètes, quels sont les principaux objectifs de l’institution ?

J’apprécie que le président Jacques Rogge ait souligné le rôle du CIO dans la protection de la santé des athlètes. Des projets tels que la convocation d’experts pour développer de nombreuses déclarations de consensus internationales importantes, les diplômes en ligne pour diverses disciplines et la surveillance des blessures aux Jeux sont de merveilleuses initiatives. Bien entendu, le Congrès mondial du CIO est un joyau de la couronne de la commission médicale du CIO, quelque chose pour lequel le CIO reçoit un immense crédit du monde du sport. Le CIO travaille dur pour améliorer l’égalité des sexes aux Jeux Olympiques (50% des athlètes) et les dirigeants et cliniciens de la commission médicale reflètent de plus en plus les athlètes dont ils s’occupent (diversité, inclusion). C’est bien !

 

3/ - Un mot pour Paris 2024 ?

Le monde attend avec impatience les Jeux d’été à Paris ! Bien sûr, une grande ville dans un pays merveilleux avec une riche histoire sportive. Après toutes ces années de COVID, et la belle réussite de Tokyo malgré le besoin de grandes précautions, espérons que le monde pourra voyager librement ! C’est l’heure de fêter ça !

 

Si vous souhaitez plus d’informations sur le Dr. Karim KHAN, cliquez ici pour découvrir son résumé : Karim KHAN

Après avoir compris les initiatives du CIO, nous allons résumer jour par jour les points particulièrement importants de cette conférence, les conférences auxquels nous avons assisté qui comprenaient énormément de speakers internationaux, les meilleurs dans leur domaine. 

 

Jour1

Preventing overuse injuries in team sports – Yes we can! As evidenced by the hit sport – volleyball. Natalia F.N BITTENCOURT / Christopher SKAZALSKI

Nous avons assisté à la conférence de Natalia Bittencourt, Christopher Skazalski et Kerry Mac Donald sur les tendinopathies patellaires chez les joueurs de volleyball dans la salle Auric du forum. Le genou du sauteur est une pathologie extrêmement courante dans le volleyball, mais comment la prévenir ou réduire son incidence ? Il est important de comprendre que chaque sportif est différent et qu’en fonction des positions occupées sur le terrain, tous les athlètes ne possèdent pas les mêmes capacités d’absorption des chocs au niveau des structures tendineuses. Le staff technique et le corps médical doivent être conscients que l’adaptation de la charge et du volume d’entraînement comme le nombre de sauts est importante, et que l’individualisation est un élément clé.

 

 

Un programme de prévention mis en place par Natalia Bittencourt, en prenant en compte toute la chaine cinétique du volleyeur a permis une réduction de + de 40% en ce qui concerne l’incidence des tendinopathies patellaires dans le club de volley de haut niveau dont elle s’occupe. Kerry McDonald, coach, à quant à lui souligner l’importance des connaissances de l’entraineur en prévention des blessures pour préserver au mieux l’intégrité physique des joueurs.

 

Sleeping for success in sport. Janse VAN RENSBURG.

Nous avons assisté à cette conférence sur le sommeil qui témoigne encore plus de son importance :

  • Un programme d’extension du sommeil réduit de 19% les niveaux de cortisol chez les rugbymans professionnels et réduit de 3,5% le temps de réaction. (Swinsbourne 2018).
  • Une semaine d’extension de sommeil (8H/nuit) augmente de 10-15% la production de testostérone en comparaison semaine comprenant 5h de sommeil par nuit. (Leproult 2011)
  • L’idéal pour réaliser une sieste serait de 13:00 à 16:00 entre 20 et 90minutes, en fonction de la manière dont l’athlète souhaite récupérer, phase 1,2 ou 3 du sommeil.
  • Il faut attendre au moins 20 minutes pour laisser passer l’inertie du sommeil et être totalement alerte.

 

 

ACL injury prevention: From risk factor identification to practical use – Where are we (and what is missing). Jesper BENCKE

Jesper BENCKE a insisté sur le fait que la force musculaire des muscles de la hanche et du genou est extrêmement importante pour prévenir les lésions du LCA. Comprendre le mécanisme lésionnel est également essentiel :

Le risque de lésion le plus élevé est la « sidecut maneouver » ou changement de direction en français.

La blessure du LCA survient tôt après le contact du pied au sol, en 40 ms seulement avec une rotation interne du genou qui se trouve en extension quasi-complète et un angle d’abduction du genou augmenté. Il est donc essentiel de renforcer les muscles qui soutiennent le LCA :

Il faut éviter de se retrouver avec un genou en extension complète : c’est pourquoi le quadriceps doit être fort pour permettre un atterrissage plus fléchi. Les ischio-jambiers (IJ) doivent être puissants et actifs pour résister à la translation antérieure du tibia. Ils sont considérés comme le LCA « dynamique ». Dans le plan frontal, la partie médiale des ischio-jambiers permettra de résister au moment d’abduction du genou, tandis que pour résister aux mouvements de rotations, les deux parties (latérale et médiale) des ischio-jambiers sont nécessaires. Une endurance des IJ est aussi importante puisque la fatigue de ces derniers augmente la charge sur le LCA.

 

 

Un autre élément a été évoqué également celui du RFD (Rate force of development : augmentation de la force du moment T0 où aucune force n’est présente jusqu’à l’atteinte de la force volontaire maximale) puisqu’il y a un écart entre l’activation du quadriceps et des ischio-jambiers au moment de la blessure. Pour plus d’informations, nous avions rédigé un article sur le sujet : https ://www.neuroxtrain.com/article/67937/

 

Un débat est ensuite intervenu : le valgus dynamique est-il un facteur de risque pour le genou ? Ou est-ce le moment d’abduction du genou ? D’après Tron Krosshaug, les statistiques semblent démontrer que le moment d’abduction du genou est un facteur de risque alors que le valgus ne l’est pas ... Chose avec laquelle le Dr. Hewett n’était pas d’accord, qui lui juge le valgus du genou comme un facteur de risque bel et bien démontré.  

 

Jour 2

From Copenhagen to Dublin via Oslo: Collaborating to tackle primary, secondary and tertiary groin injury prevention in sports. Thor Einar ANDERSEN / Per HOLMICH

Le diagnostic des pathologies pubiennes est très compliqué, probablement dû au fait des multiples insertions musculaires dans cette zone. L’agrément de DOHA, réalisé par un consensus de spécialistes établi quelques années auparavant a facilité le diagnostic de ces lésions en améliorant la classification comme suit :

 

  • Blessure liée à l’adducteur
  • Blessure liée au psoas
  • Blessure liée à la région inguinale
  • Blessure liée au pubis

 

Cependant, ces mêmes experts présents lors de cette conférence soulignent la nécessité d’une seconde version de DOHA. Des nouveautés émergent également comme cette actualisation de l’anatomie palpatoire de la zone :

 

Crédits : Twitter - @afranklynmiller

 

Dans un second temps, l’importance de la force excentrique des adducteurs a clairement été définie comme un facteur protecteur de lésion liée à l’adducteur. Près d’1/3 des joueurs présentaient une douleur dans cette région (pubis/hanche) avant le début même de la saison ! Entre autres, l’exercice de niveau 3 du programme Copenhague a encore une fois été recommandé au plus haut point. Plus le joueur réalise de répétitions de cet exercice sur l’année, plus la force excentrique des adducteurs est importante. La clé est d’augmenter la quantité de charge pouvant être acceptée lors de la compétition par le complexe adducteur pour protéger cette structure musculaire.

 

Crédits : Exercice N°3 de Copenhague skadefri.no

 

Le Protocole d’Holmich quant à lui est toujours valable et efficace pour réduire l’incidence des blessures de cette zone, et peut également être employé lors de la rééducation des lésions avec un retour au sport estimé à 78%.

En ce qui concerne les interventions chirurgicales, la ténotomie de l’adducteur n’est pas vraiment un choix de premier lieu : elle présente 5 à 34% de complications, alors qu’un traitement conservateur permet de 79% de résultats dits « excellents ».

 

Hamstring injury prevention IS possible…. Maybe. Kind of. Ish. Nicol VAN DYK / Gustaaf REURINK

Différents protocoles de prévention/rééducation ont été analysés tels que le L-Protocol de Carl Askling ou le protocole de Mendiguchia. En conclusion, aucun programme ne s’est avéré supérieur à un autre de manière significative. Voici les points importants :

 

  • Trouver son programme de prévention avec lequel nous sommes le plus à l’aise
  • Adapter son programme de prévention en fonction des ressources matérielles disponibles
  • Combiner certains protocoles et/ou exercices

 

Poster areas, Press Room/interviews, travail

Nous avons, durant cette journée, passé beaucoup de temps dans la salle des posters afin d’échanger avec les intervenants, rencontrer de nouvelles personnes de différents pays, etc.

Pour terminer cette journée, nous avons travaillé quelques heures dans la salle de presse afin de préparer les interviews, définir les objectifs du lendemain, etc.

 

Jour 3

Pour ce troisième jour, dû à l’obligation de nos transports respectifs, nous n’avons pu assister qu’à un dernier symposium très intéressant.

Concussion prevention in youth team sports: Evidence informing best practice and policy across five high risk sports. Carolyn EMERY

Le point le plus marquant de cette conférence concernait la prévention des concussions dans la crosse : en effet les joueuses féminines possèdent beaucoup moins de protections que les hommes. L’explication vient du fait que les hommes ont le droit au contact dans les règles alors que les féminines auraient de grandes restrictions sur les contacts. Pourtant, cela n’empêche pas une incidence beaucoup plus élevée de concussion chez les féminines … Beaucoup de choses sont donc encore à améliorer.

 

 

Conclusion 

Après avoir rencontré plein de personnes exceptionnelles, nous sommes retournées à l’hôtel récupérer nos valises pour retourner dans nos villes respectives, à Lyon et à Toulouse. Ce genre d’évènement est l’occasion rêvée pour échanger, obtenir une vision internationale sur la manière de traiter les patients, prévenir les blessures. Cela ouvre un champ rempli de nouvelles perspectives dans notre pratique de la kinésithérapie et de la prévention des blessures qui peuvent s‘avérer très différentes d’un pays à l’autre. La France est encore trop peu représentée dans ce type d’événement, nous espérons vraiment pouvoir développer cette envie d’y assister et de partager au monde la qualité de nos soins. On espère vous retrouver nombreux dans 3 ans à la prochaine conférence organisée par le CIO à Monaco !

 

 

Si vous souhaitez en découvrir plus sur cette conférence, nous vous invitons à regarder le reportage vidéo que nous avons réalisé à ce sujet : 

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