Rupture du ligament croisé antérieur et neurocognition

Publié le : 15 août 2021 à 10h58

Article rédigé par Clément Boudot

 

Les recherches sur les mécanismes de lésion du ligament croisé antérieur (LCA) ont contribué à étoffer nos connaissances des paramètres biomécaniques et des facteurs de risque neuromusculaires. Habituellement, une combinaison de valgus et de flexion ou une hyperextension du genou est décrite comme étant liée au mécanisme de lésion du LCA.

Lors de la réalisation des tests en laboratoire sur les athlètes, l’environnement est souvent relativement cohérent et maitrisé, avec des mouvements prévisibles à un rythme pré-définis (motricité fermée). Ces explorations ne reflètent généralement pas la réalité du terrain.

Bittencourt et al., ont proposé une approche de système complexe pour améliorer la compréhension de l’étiologie des blessures. Cette approche met en évidence une interaction non linéaire entre les facteurs de risque de différentes dimensions (caractéristiques biomécaniques, psychologiques/neurocognitives, physiologiques) comme un réseau de déterminants et la façon dont ceux-ci peuvent contribuer à se blesser.

Bahr et Krosshaug ont quant à eux proposé un modèle conceptuel, dans lequel un événement déclenchant, comprend non seulement des informations sur les caractéristiques biomécaniques, mais aussi sur la situation de jeu et le comportement de l’athlète et de son/ses adversaire(s). Des analyses vidéo descriptives ont montré que le comportement de l’athlète et les situations de jeu influencent et jouent un rôle lors des mécanismes de blessure.

Dans les sports de balle, les athlètes sont immergés dans un environnement qui change rapidement, de façon imprévisible et rythmée par cet environnement. L’athlète doit percevoir ses propres opportunités d'action ainsi que celles de ses adversaires et de ses coéquipiers avant de décider de quel mouvement réaliser pour être le plus productif, le tout souvent sous la contrainte du temps.

Tout déficit ou retard dans le traitement sensoriel ou attentionnel peut conduire à des erreurs de coordination et à des mouvements à haut risque dans des temps de réaction très rapides. Ces situations mettent au défi le corps pour maintenir l’équilibre corporel et le contrôle des mouvements.

En effet, il a été estimé que les lésions du LCA se produisent environ 40 ms après le contact initial au sol. Les joueurs de football de haut niveau, comparés aux joueurs de niveau inférieur, semblent présenter une biomécanique plus sûre dans une tâche exigeante sur le plan cognitif.

 

La neurocognition : définition, et comment s'applique-t-elle au mécanisme de lésion du LCA ?

La neurocognition fait rapport aux fonctions cognitives qui sont liées à un domaine, une zone, ou à un réseau particulier du cerveau. Les fonctions neurocognitives de niveau supérieur, également appelé fonctions exécutives sont essentielles dans les tâches qui exigent de la concentration, de la coordination et du contrôle pour passer outre les stimulus internes ou externes. Les fonctions exécutives désignent la capacité à coordonner les processus cognitifs, émotionnels et moteurs permettant aux personnes de s’adapter aux situations rencontrées.

Les fonctions exécutives peuvent être divisées en trois parties:

•   Le contrôle de l’inhibition.

•   Le mémoire de travail.

•   La flexibilité cognitive.

 

Le contrôle de l’inhibition implique la capacité de contrôler l'attention, le comportement, les pensées et/ou les émotions. Cela permet d’annuler de fortes prédispositions internes ou des tentations externes, et d'agir d'une manière plus appropriée. En tant que telle, l'inhibition joue un rôle important dans l'attention sélective, c'est-à-dire le déploiement de l'attention sur les tâches pertinentes.

Le contrôle inhibiteur est lié à la mémoire de travail, car pour relier plusieurs idées ou rassembler des faits ensemble, il faut être capable de résister à l'envie de se concentrer sur une autre chose.

 

 

La flexibilité cognitive a été définie comme la capacité à adapter les stratégies de traitement cognitif à de nouvelles conditions.

Les fonctions cognitives d'ordre inférieur comprennent entre autres l'attention visuelle, la perception, la vitesse de traitement (par exemple, le temps de réaction) et la double tâche.

La vitesse de traitement de l'information fait référence au temps dont une personne a besoin pour traiter de nouvelles informations et au temps nécessaire pour récupérer les informations enregistrer dans sa mémoire. La vitesse de traitement de l'information est une fonction cognitive de base, qui est nécessaire pour des fonctions plus complexes comme la mémoire de travail.

Le temps de réaction est une mesure de la rapidité avec laquelle un athlète peut répondre à un stimulus particulier. Il s'agit de la capacité à détecter, traiter et répondre à un stimulus.

La perception est l'organisation, l'identification et l’interprétation des informations sensorielles afin de représenter et comprendre l'information présentée.

La double tâche ou le multitâche est la tentative d’effectuer deux ou plusieurs tâches simultanément. En cas de multitâche, les gens font plus d'erreurs ou exécutent les tâches plus lentement.

Du point de vue de la neurocognition, nous nous concentrerons principalement sur le contrôle inhibiteur en ce qui concerne la contribution possible aux blessures du LCA.

 

 

Schéma de l'article de Gokeler et al. BMJ open sport & exercise medicine 2021

 

Transposer la neurocognition au terrain

La performance dans le sport repose sur une combinaison d'aptitudes motrices, d’attention et de compétences cognitives, qui permet à l'athlète de localiser, identifier et traiter l'information dans un environnement spécifique. Les athlètes de sports de balle (comme le football) ont besoin d'une perception et d'une interprétation rapides et efficaces des opportunités pour réaliser une action réussie. Par exemple la capacité d'un athlète de haut niveau est d’interpréter et identifier le mouvement d'un adversaire avant que ces actions ne soient exécutées.

Waldén et al., ont mis en évidence les situations de jeux pour lesquelles les lésions du LCA sans contact apparaissaient le plus souvent dans le football professionnel. Ces lésions apparaissaient le plus souvent quand le joueur exerçait une pression défensive vers l’adversaire.

Les joueurs de football doivent être capables de prédire le résultat des feintes adverses afin de gagner leur duel. Cela peut poser un défi pour un défenseur qui fait pression, qui anticipe une direction particulière, mais au dernier moment, l'attaquant feinte son action. En une fraction de seconde, le défenseur doit changer de mouvement rapidement. Cela représente un défi important au système moteur pour modifier un mouvement déjà planifié ou initié.

Sur le point de vue de la neurocognition, si le défenseur se blesse sur ces situations de jeux, les erreurs dans le contrôle inhibiteur peuvent avoir déjoué au moment de la blessure. Dans cette situation le contrôle du comportement impulsif aurait surement permis au joueur d'avoir eu un peu plus de temps pour obtenir des informations pertinentes sur le mouvement de l’adversaire. Il aurait en conséquence surement pu mieux planifier sa propre action en fonction de la direction finale choisie par l‘adversaire.

 

L'attention sélective est la capacité de l'athlète à se focaliser sur une situation pertinente sur le terrain et de trier, voir même supprimer l’attention à d'autres stimuli qui ne sont pas pertinents. Le manque de capacité à rediriger ou à maintenir l’attention d'un stimulus à un autre peut entraîner une perte de la conscience spatiale et perturber le contrôle moteur.

Les analyses vidéos des lésions du LCA chez les basketteurs ont montré que l'attention du joueur blessé était généralement focalisée sur le panier, puis sur le rebord du panier, puis sur l'adversaire ou sur le ballon. Une telle division de l'attention implique moins d'attention pour les propres mouvements de l’athlète. Cette division de l’attention peut avoir contribué au mécanisme de blessure du LCA, car l’athlète possède moins de temps pour corriger ou modifier un mouvement déjà amorcé.

 

 

Incorporer la neurocognition à la détection des personnes à risque de lésion du LCA

Différents tests neuromusculaires de détection ont été développés pour identifier les athlètes à risque pour une lésion du LCA. Ces tests sont considérés comme des aptitudes fermées (prévisibles dans un environnement contrôlé) et ne reflètent pas les exigences du terrain. Comme indiqué dans la section précédente, les erreurs neurocognitives peuvent contribuer aux lésions du LCA. Pour améliorer la validité des tests de détection des lésions du LCA, ces tests devraient également inclure des exigences neurocognitives.

De nombreux tests neurocognitifs génériques par domaine sont disponibles pour évaluer les fonctions exécutives supérieures telles que le contrôle inhibiteur et la mémoire de travail. Parmi les exemples de mesures du contrôle inhibiteur, il existe:

•   La Tâche de Stroop,

•   La tâche Flanker,

•   Go/no-go tasks et,

•   La tâche du « signal d’arrêt ».

 

Pour la mémoire de travail:

•   La tâche N-back,

•   Le test d’empan et,

•   L’épreuve de Corsi.

 

Les auteurs proposent la détection des personnes à risque d’avoir une lésion du LCA plus holistique, et donc complexe, avec des tâches motrices où les exigences neurocognitives sont plus importantes.

Il a été par exemple démontré que les déficits de performance de saut à une jambe (la distance de saut) étaient amplifiés par l'ajout de défis neurocognitifs.

Également des athlètes ont démontré des altérations de la biomécanique des membres inférieurs lors du drop landing test qui impliquait des fonctions neurocognitives par rapport au drop landing test classique.

L'une des faiblesses des tests de détection actuels du risque de lésion du LCA est qu'ils suivent généralement des fonctions motrices simples basées sur des temps de réaction. Cependant les processus cognitifs des sports d’équipe ne reposent pas seulement sur des schémas de réaction, mais aussi sur la mémoire de travail et le contrôle inhibiteur, où les informations doivent être stockées et où les éléments perturbateurs doivent être ignorés.

Plus d'informations sur des stimulus perceptifs et cognitifs doivent être fournies pendant les activités motrices complexes afin d'obtenir une évaluation plus valable.

Les technologies telles que la réalité virtuelle, les applications et les systèmes lumineux fournissant des stimuli pourraient contribuer au développement des tests de détection plus spécifiques au sport.


Nouvelle technologie

 

Credit image: playbook.chelseapiers.com

 

Les Reax lights sont des lumières interactives pour développer les temps de réaction, la vitesse et lagilité. Elles permettent de travailler les fonctions supérieures de la neurocgnition citée précédemment. L’ordre et la vitesse de changement des lumières peuvent être gérés par une application à distance. Les spots lumineux sont quant à eux équipés d’aimant qui permet de les fixer au sol comme au mur.

 

Tout le contenu de cet article est présenté à titre informatif. Il ne remplace en aucun cas lavis ou la visite dun professionnel de santé.

 

Source :

Gokeler, A., Benjaminse, A., Della Villa, F., Tosarelli, F., Verhagen, E., & Baumeister, J. (2021). Anterior cruciate ligament injury mechanisms through a neurocognition lens: implications for injury screening. BMJ open sport & exercise medicine7(2), e001091. Article sous Creative Commons Attribution Non Commercial license (CC BY-NC 4.0).

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