Optimiser l’apprentissage moteur et la plasticité cérébrale après rupture du LCA

Publié le : 23 mai 2021 à 09h07

Article rédigé par Thibaut Garçon

 

La lésion du ligament croisé antérieur (LCA) est l’une des pires blessures qui puissent arriver à un joueur. En effet, les conséquences physiques et psychologiques d'une blessure du LCA sont importantes. Les athlètes sont limités dans leur vie quotidienne et leur participation sportive est réduite. Le pourcentage d’athlète revenant au même niveau (antérieur à la blessure) se situerait autour des 65%.

A court terme, il a été démontré que l’activité cérébrale est supérieure chez une population atteinte d’une rupture de LCA en comparaison avec des groupes sains pour un même mouvement. Les demandes en énergie et en concentration sont donc plus importantes, d’autant plus que l’on sait qu’une RLCA (Reconstruction de LCA via chirurgie), entraîne une modification des schémas de mouvement corporels (à la marche, à la montée / descente des escaliers, dans les activités de la vie quotidienne), il est donc nécessaire de retrouver une cinématique corporelle normale. Cependant, les programmes de rééducation actuels ne semblent pas corriger efficacement les schémas de mouvement anormaux et le contrôle moteur. L'altération du contrôle des mouvements a été associée à un risque accru de seconde lésion ipsi- ou contralatérale et au développement d'une arthrose précoce de l'articulation du genou.

 

L’objectif de cet article est de montrer les outils à notre disposition nous permettant d’améliorer l’apprentissage moteur et faciliter l’automatisation des gestes fonctionnels, nécessaires à une bonne rééducation.

 

Travail du focus externe

Dans presque toutes les situations de rééducation où les habiletés motrices doivent être (ré)apprises, les patients reçoivent dans une grande majorité des cas des instructions sur une technique de mouvement jugée correcte.

Les instructions qui dirigent l'attention du patient sur ses propres mouvements induisent ce que l’on appelle une « focalisation interne » de l'attention (1). Par exemple, pour augmenter l'extension du genou pendant la marche, un kinésithérapeute peut demander de tendre davantage le genou pendant la phase d'appui. Il a été démontré que 95% des kinésithérapeutes donnent des instructions avec une telle focalisation interne (2).

Cependant, de plus en plus de preuves montrent que ce type de focalisation attentionnelle n'est peut-être pas aussi efficace qu'on le pensait auparavant. Le fait de diriger l'attention du patient sur les effets des mouvements sur l'environnement (appelé « focalisation externe » de l’attention) permet d'obtenir des mouvements plus efficaces. Au niveau cérébral, le focus attentionnel externe modifie le fonctionnement neurologique intracortical amenant une facilitation de la contraction musculaire. De plus, cette méthode accélère le processus d’apprentissage, en facilitant l’automatisation du mouvement. Une concentration sur l'effet du mouvement favorise l'utilisation de processus neurologique inconscient ou automatique, tandis qu'une concentration interne sur ses propres mouvements entraîne un mouvement plus conscient qui contraint le système moteur et perturbe les processus de contrôle automatique.

 

Crédits image et tableau issu des travaux de Gokeler et ses collaborateurs (2019) et adapté pour NeuroXtrain

 

Instructions implicites

L'objectif de l'apprentissage implicite est de minimiser la quantité de connaissances déclaratives (explicites) sur l'exécution du mouvement pendant l'apprentissage. Une analogie, ou une description métaphorique d'une action, est associée à une image visuelle pour aider l'athlète à « sentir » un mouvement. L'apprentissage implicite réduit la dépendance à la mémoire de travail et favorise davantage un processus automatique.

De l’autre côté, l’apprentissage explicite favorise le réinvestissement car l'athlète fait appel à la mémoire par une instruction détaillée, étape par étape, sur l'exécution du mouvement, souvent sous la forme d'un guidage verbal. Cependant, sous l'effet du stress, un athlète peut involontairement commencer à suivre ces directives et diviser l'exécution fluide et régulière en blocs distincts, ce qui serait préjudiciable à la performance experte. C'est pour cette raison que l'apprentissage implicite peut être plus efficace dans les tâches plus complexes sous pression. Les sports de compétition peuvent être psychologiquement exigeants et la précision de la prise de décision se détériore chez les athlètes lorsqu'ils sont sous pression et la fatigue et doivent faire face à une complexité accrue de la tâche.

L’apprentissage implicite peut donc être important dans les derniers stades de la rééducation, lorsque le patient approche de la phase de RTS (Return To Sport). Un athlète doit être progressivement exposé à des facteurs de stress physiques, environnementaux et psychologiques comparables à ceux auxquels il sera exposé dans le sport qu'il pratique pour se rapprocher au plus près des conditions de pratique « normale » de son activité physique.


 

Tableau issu des travaux de Gokeler et ses collaborateurs (2019) et adapté pour NeuroXtrain

 

Intérêt de l’apprentissage différentiel et autorégulé

L’apprentissage différentiel

L'apprentissage différentiel est basé sur la théorie des systèmes dynamiques. Ce principe théorique suggère qu'en faisant exécuter aux athlètes une variété de schémas de mouvement, un processus d'apprentissage auto-organisé est initié (3). De manière courante, une rééducation consiste généralement en une succession d'exercices ayant un nombre prédéfini de répétitions et de séries. Cependant, dans la plupart des sports, il est assez rare de répéter le même mouvement pendant 3 séries de 10 répétitions avant de passer à un autre mouvement. Il est possible qu'une neuroplasticité diminuée après une lésion du LCA soit en partie due à une thérapie qui ne fait pas appel à l'apprentissage différentiel.

Par le biais d'un apprentissage via différents schémas de mouvement, d'objectifs (plutôt que de pratiquer uniquement la forme de mouvement supposée « correcte »), les athlètes apprennent une solution motrice individualisée qui fonctionne le mieux pour eux compte tenu du contexte environnemental et des contraintes de leur propre corps. Notre pratique se doit donc d’impliquer l'exposition au plus grand nombre possible de situations différentes (changements de surfaces au sol, de conditions de fatigue, de conditions météorologiques…) au sein même d'une pratique physique (par exemple : sauter, lancer, courir…).

Le bénéfice clinique de cette technique permettrait aux athlètes de disposer de ressources attentionnelles permettant d'anticiper les situations à haut risque, leur donnant ainsi l'occasion d'éviter ces situations ou, si le temps est limité, de pré-activer le système neuromusculaire à l'aide de mécanismes de « feed-forward » (action anticipative).


Tableau issu des travaux de Gokeler et ses collaborateurs (2019) et adapté pour NeuroXtrain

 

L’apprentissage autorégulé

Dans la plupart des situations de rééducation, les cliniciens déterminent les détails de la séance. Par exemple, ils décident de l'ordre dans lequel les exercices sont pratiqués, de leur durée et de l'opportunité de donner des instructions ou des démonstrations. Ainsi, alors que les cliniciens contrôlent généralement la plupart des aspects de la pratique, les patients assurent leur séance dans un rôle relativement passif.

L'apprentissage autocontrôlé (par exemple, en donnant aux patients le choix de demander un exercice avec un feed-back ou de choisir un exercice qu'il souhaite) est un outil puissant pour l'apprentissage moteur. Les athlètes préfèrent recevoir des feed-backs positifs, ce qui soutient les influences motivationnelles sur l'apprentissage moteur en renforçant leurs bonnes exécution aux exercices. Ressentir la maîtrise d’un geste de manière objective, grâce aux feed-backs sur la bonne exécution des exercices affecte positivement l'apprentissage moteur par le biais d'influences motivationnelles telles que la motivation intrinsèque, l'intérêt ou encore le plaisir. D’un point du vue cérébral, un apprentissage autorégulé favorise un nouvel apprentissage moteur en favorisant la plasticité cérébrale avec des gains comportementaux (confiance…). Comme dans toute rééducation, la motivation améliore l’apprentissage et l’implication dans une prise en charge, ce qui est particulièrement le cas pour des personnes atteintes de LCA avec des temps de rééducation très long.

  

Conclusion

De nombreuses variables doivent être prises en compte lors de l'élaboration de programmes d'entraînement pour les patients ayant subi une RLCA, notamment le type, la quantité, l'intensité et la fréquence des exercices, ainsi que l'importance de minimiser les effets indésirables tels que la douleur ou le gonflement.

Du point de vue de l'apprentissage moteur, la capacité d'apprendre de nouvelles fonctions motrices varie d'une personne à l'autre. Étant donné les preuves actuelles concernant un risque potentiel de seconde rupture de LCA en lien avec des capacités motrices déficientes, une attention particulière doit être tourné dans cette voie. Les cliniciens doivent être conscients que les patients doivent trouver une solution motrice individualisée qui leur est la plus appropriée dans leur contexte environnemental spécifique et les contraintes de leur propre corps.

  

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Sources

(1) Wulf, G., Höß, M., & Prinz, W. (1998). Instructions for Motor Learning : Differential Effects of Internal Versus External Focus of Attention. Journal of Motor Behavior, 30(2), 169‑179.

(2) Durham, K., Van Vliet, P. M., Badger, F., & Sackley, C. (2008). Use of information feedback and attentional focus of feedback in treating the person with a hemiplegic arm. Physiotherapy Research International, 14(2), 77‑90.

(3) Zhu, F. F., Poolton, J. M., Wilson, M. R., Hu, Y., Maxwell, J. P., & Masters, R. S. W. (2011). Implicit motor learning promotes neural efficiency during laparoscopy. Surgical Endoscopy, 25(9), 2950‑2955 - Article sous License Creative Commons NC

(5) Gokeler, A., Neuhaus, D., Benjaminse, A., Grooms, D. R., & Baumeister, J. (2019). Principles of Motor Learning to Support Neuroplasticity After ACL Injury : Implications for Optimizing Performance and Reducing Risk of Second ACL Injury. Sports Medicine, 49(6), 853‑865 - Article sous License Creative Commons BY 4.0

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