Rupture du ligament croisé antérieur (LCA) chez les athlètes féminines : description du mécanisme de lésion et des facteurs de risques

Publié le : 15 novembre 2020 à 09h37

Article rédigé par Nathan Touati et Antoine Fréchaud

 

L’équipe NeuroXtrain est extrêmement reconnaissante envers le Dr. Timothy Hewett pour nous avoir autorisé à utiliser ses travaux afin de rédiger cet article.

Nous souhaitons également saluer le Dr. Franseco Della Villa, pour nous avoir permis d’utiliser quelques parties de ses travaux.

Merci beaucoup.

 

Les blessures au ligament croisé antérieur (LCA) surviennent avec une incidence en moyenne quatre à six fois plus élevée chez les athlètes féminines que chez les hommes pratiquant les mêmes types de sports. Quels sont les facteurs responsables d’une telle disparité ?

Aujourd’hui, les femmes participent 5x plus aux sports scolaires/universitaires mis en place par les structures qu’il y a 30 ans, notamment aux États-Unis. Durant cette période de leurs vies, les femmes ont 10x plus de risques de lésions au LCA qu’à n’importe quelle autre période, probablement à cause de facteurs anatomiques, de faiblesse/déséquilibre musculaire, caractéristiques de la période de maturation athlétique mais également à cause du volume d’entrainement très élevé. Cela a donc conduit à une augmentation rapide du nombre total des lésions du LCA chez les femmes.

Par ailleurs, la rupture du LCA est coûteuse, avec des estimations de l’intervention chirurgicale et de la rééducation entre 17 000 et 25 000 dollars par blessure. Cela s'ajoute à la diminution potentielle de participation sportive (compétition et entrainements), à une diminution du financement des bourses d'études pour les sportives de haut niveau, à une baisse des résultats scolaires, à une invalidité de longue durée et à un risque considérablement plus élevé d'arthrose dans les prochaines années.

Cette augmentation des blessures du LCA dans la population sportive féminine a alimenté des analyses approfondies des mécanismes responsables de cette disparité entre les sexes.

Le mécanisme de ces différences entre les sexes dans le risque de lésion du LCA est probablement de nature multifactorielle. Plusieurs théories ont été proposées pour expliquer ce phénomène. Ces théories incluent des variables extrinsèques (perturbations mécanique et neurologique, météo, et interaction chaussure-surface) et intrinsèques (différences anatomiques, hormonales, neuromusculaires et biomécaniques entre les sexes).

 

Mécanisme de lésion du LCA

Après une analyse vidéo de 134 cas de lésions au LCA, Della Villa et al. 2020, sont parvenu à une description très précise du mécanisme de lésion du LCA chez les footballeurs. Cela se compose en 3 principes :

  • Le mécanisme de la blessure
  • La situation de la blessure
  • La biomécanique de la blessure

 

Le mécanisme de la blessure fait référence (du plus au moins commun) aux blessures par :

  • Sans contact: blessure lors d’une course, d’une réception ou d’un changement d’appui sans aucune interaction physique avec un autre joueur.
  • Contact indirect: l’interaction joueur-joueur entraine un déséquilibre, qui par la suite est responsable d’une rupture du LCA (reprise d’appui après un coup d’épaule par exemple).
  • Contact direct : une interaction joueur-joueur qui entraine la blessure au moment du contact (ex. : tacle au niveau du genou, contact genou-genou, etc.).

 

La situation de blessure se rapporte à l’action réalisée par le joueur au moment de la blessure. Il s’est avéré que les joueurs se blessaient (de la situation la plus commune à la moins commune) :

  • Lors d’un pressing ou en taclant (action défensive)
  • À la suite d’un tacle subi
  • Tentative de récupérer l’équilibre après un tir
  • Atterrissage après un saut

 

La biomécanique de la blessure caractéristique de la blessure quant à elle comprend les comportements anatomiques suivants :

  • Pied plat et en rotation externe
  • Valgus dynamique du genou (effondrement médial)
  • Abduction de la hanche combinée à une rotation interne du fémur
  • Inclinaison ipsilatérale du tronc couplé à une rotation contralatérale par rapport au genou lésé

 

Figure 4. "Frequently observed mechanism for non- contact ACL injuries during pressing situation." Della Villa et al. 2020.

 

Dans l’étude du Dr. Hewett, en utilisant des approches biomécaniques couplées à des approches épidémiologiques, les auteurs ont étudié de jeunes joueuses de football dans le comté de Boone, dans le Kentucky pendant près d'une décennie.

Lorsque des séquences vidéo de lésions réelles du LCA sont examinées, il semble qu'il existe quatre déséquilibres neuromusculaires en particulier chez les femmes que les auteurs appellent :

  • Dominance ligamentaire
  • Dominance quadriceps
  • Dominance des jambes
  • Dominance du tronc

Les preuves existantes suggèrent que ces quatre déséquilibres neuromusculaires peuvent être associés aux mécanismes de lésion du LCA. Par conséquent, ces déséquilibres doivent être identifiés chez les athlètes. L'identification des schémas de mouvement défectueux permettrait la mise en œuvre d'interventions spécifiques, ciblées sur la prévention.

 

Dominance ligamentaire

Rappelez-vous le composant du mécanisme de blessure typique où le genou s'effondre en position valgus que nous avons évoquée précédemment. Ce déséquilibre neuromusculaire observé plus fréquemment chez la femme que chez l'homme est appelé dominance ligamentaire. Dans la condition appelée dominance ligamentaire, les muscles n'absorbent pas suffisamment les forces de réaction du sol, ce qui engendre de grandes quantités de force sur une courte période de temps au niveau de l’articulation et des ligaments. Ce phénomène conduit à des forces de tension plus élevées sur le LCA, ce qui entraîne probablement une rupture du ligament.

La dominance ligamentaire est caractérisée par l'utilisation de stabilisateurs anatomiques (configuration osseuse et cartilage articulaire) et statiques (ligaments) pour absorber les forces de réaction du sol rencontrées pendant l'activité, plutôt que l'utilisation des muscles des membres inférieurs. Le groupe de muscles qui composent la chaîne cinétique postérieure est particulièrement important pour le contrôle musculaire des membres inférieurs (et pour éviter la dominance ligamentaire): les fessiers (grand et moyen), les ischio-jambiers et le gastrocnémien et le soléaire. Les muscles importants de la chaîne postérieure doivent pouvoir être correctement recrutés afin d'absorber les forces de réaction importantes transmises par le contact avec le sol, car en cas de déficit, ces forces se déplacent vers l'articulation et le ligament.

Replongeons dans une physique très simple :  la troisième loi de Newton ou « principe d’action-réaction » stipule si un objet A (corps de l’athlète) exerce une force sur un objet B (sol) alors ce dernier (sol) exerce en retour une force égale et de direction opposée sur l’objet A (corps de l’athlète).

Par conséquent, lorsqu'une joueuse de football fait un changement d’appui sur le terrain, ou qu'une joueuse de basket-ball atterrit après un saut, elle frappe le sol ou le court, et cette surface lui renvoie une force de réaction égale et opposée.

La force de réaction encaissée par l'athlète est en fait nettement supérieure à son poids corporel parce que son corps et ses segments corporels ont une certaine inertie et génèrent une force au sol supérieure que celle produite volontairement.

Ces propriétés inertielles liées à la vitesse du mouvement conduisent à des forces multiples de la masse corporelle impactant le sol et le corps. Par exemple, lorsqu'une athlète marche simplement sur le court de basket, et au contact du sol, ce dernier renvoie une force de deux à trois fois sa masse corporelle.

Les forces subies lors des tâches d'atterrissage, de changement d’appui, de course et de saut exécutées pendant les activités sportives se produisent très fréquemment, de nombreuses forces sont donc « encaissées » par les structures musculosquelettiques de l’athlète.  

 

Exemple d’exercice de correction : Spécifique football : force valgus + réaction

 

Dominance du quadriceps

Les femmes ont tendance à atterrir après un saut avec une flexion de genou moins importante que les hommes. Ce déséquilibre neuromusculaire qui se produit chez les femmes est appelé la dominance quadriceps par les auteurs. La dominance quadriceps fait référence à la tendance à stabiliser l'articulation du genou en utilisant principalement les muscles quadriceps. Les femmes semblent utiliser préférentiellement les quadriceps plus que les hommes pour stabiliser l'articulation du genou.

Lorsque les femmes contractent leur quadriceps, cela étend leur genou, ce qui est probablement lié à la position d’extension du genou observée lors d'une blessure du LCA. En plus de cela, les quadriceps servent à verrouiller le genou en comprimant l'articulation tibio-fémorale. Le tendon quadriceps commun se fixe à la partie supérieure de la rotule, puis se fixe via le tendon infrapatellaire au tubercule tibial sur le tibia antérieur. Lorsque les quadriceps se contractent, ils tirent le tibia dans une direction antérieure par rapport au fémur (tiroir antérieur). Le problème biomécanique qui en résulte est que le LCA sert à maintenir la stabilité du tibia par rapport au fémur (ou à contrôler la translation antérieure), et lorsqu'une athlète utilise son quadriceps pour stabiliser l'articulation, elle induit une contrainte de cisaillement (ou translation) antérieure au tibia appliquant donc une grande tension sur le LCA.

La dominance des quadriceps est liée à la dominance des ligaments. Si une athlète utilise préférentiellement les quadriceps au lieu des muscles de la chaîne postérieure pour contrôler le membre, elle utilise un seul groupe musculaire avec une seule insertion tendineuse (tubérosité tibiale) pour la stabilité et le contrôle du membre. Ceci est en contraste avec l'utilisation des groupes musculaire de la chaîne postérieure qui possèdent plusieurs muscles avec des insertions de tendons variées qui peuvent être sélectivement utilisées pour contrôler le membre pendant les tâches fonctionnelles. Par exemple, les ischio-jambiers ont à la fois des tendons médiaux et latéraux qui jouent un rôle essentiel dans la stabilisation de l'articulation du genou, dans la direction exactement opposée du quadriceps (tiroir postérieur). Cela a donc un effet protecteur sur les ruptures du LCA. Les ischiojambiers sont considérés comme le « LCA dynamique » et sont capables de tirer le tibia vers l'arrière, diminuant ainsi la contrainte sur le LCA. Enfin, comme évoqué précédemment, les ischio-jambiers ont des tendons qui s'insèrent de chaque côté de l'articulation qui peuvent offrir le contrôle du plan frontal du mouvement au genou qui est crucial pour la prévention des blessures.

Exemple d’exercice de correction : Deep Squat 90°/90°

Les exercices pliométriques qui utilisent une position de flexion de 90/90 degrés au genou et à la hanche sont très efficaces.

 

Dominance de la jambe

Les auteurs appellent le troisième type de déséquilibre la dominance de jambe. Dans les tâches qui nécessitent normalement une symétrie neuromusculaire des membres inférieurs, les femmes ont tendance à être plus dominantes d’une jambe que leurs homologues masculins. Quand une femme rompt son LCA, la majorité, sinon tout son poids repose sur une seule jambe.

Lorsqu'on considère le déséquilibre de la domination de la jambe, il faut reconnaître que la plupart des athlètes ont une jambe d’appui préférée et une jambe préférée de tir, passe drible, etc. Cependant, les différences entre les membres dans les schémas de recrutement musculaire, la force musculaire et la flexibilité musculaire ont tendance à être plus grande chez les femmes que chez les hommes.

Ainsi, dans le contexte d'un processus de screening (identification) pré-saison des facteurs de risques, les tests neuromusculaires / biomécaniques devraient tenter d'identifier les différences d'un côté à l'autre. En ce qui concerne la symétrie musculaire, si la force musculaire d'un côté à l'autre ou les différences de recrutement relatives sont mesurables et significatives, alors un athlète est asymétrique et est considéré comme dominant de la jambe. Ce que l’équipe du Dr. Hewett a montré, c'est les athlètes présentant une plus grande asymétrie dans ces profils de force ont un plus grand risque de blessures au LCA.

Exemple d’exercice de correction: X hops 

 

Dominance du tronc (dysfonction lombo-pelvienne)

La stabilité du tronc dans un espace tridimensionnel est extrêmement importante. On parle souvent de proprioception du tronc.  Comme nous l’avons dit précédemment, une perturbation de l’équilibre au niveau du tronc, un manque de gainage et de contrôle lombo-pelvien entraînent un risque de blessure bien plus élevé.

La diminution de la proprioception du tronc est une différence qui est présente entre les hommes et les femmes. Chez les femmes, un positionnement en valgus du genou est fréquemment observé au cours de tâches motrices variées comme évoqué précédemment et est considéré comme un risque élevé de lésion du LCA. Le même positionnement est moins régulièrement observé chez les hommes, et le contrôle du tronc est un contributeur majeur à cette position à risque exprimé par les femmes. En l’occurrence, dans les études réalisées par Zazulak et al sur l'association entre la proprioception, le contrôle du tronc et le risque futur de blessure du LCA, le mouvement du tronc et la proprioception du tronc se sont avérés être de meilleurs prédicteurs de blessures chez les femmes que chez les hommes.

Pour conclure, la dominance du tronc est simplement définie comme l'incapacité de contrôler précisément le tronc dans un espace tridimensionnel. La dominance du tronc peut être liée à des facteurs de croissance et de maturation. Par exemple, si vous observez une jeune femme qui vient de connaître une poussée de croissance ; elle a rapidement un volume corporel plus important à gérer avec ses programmes moteurs et stratégies neuromusculaires existants.  

Exemple d’exercice de correction : Rotation tronc

 

 Résumé

 

Tableau 1. Adapté de Hewett et al. 2010. Relations entre mécanisme, déséquilibre neuromusculaire et interventions pour la prévention des blessures au LCA chez les athlètes féminines

Nouvelles technologies

Motion Analysis a développé un logiciel nommé Cortex qui permet d’analyser en 3D les mouvements des athlètes lors de la réalisation de tâches motrices. À l’aide de capteurs posés sur le corps de l’athlète, de caméras et de plaques enregistrant diverses données à l’impact du pied sur le sol, ce système permet de fournir des informations extrêmement précises à l’expert qui va pouvoir guider le sportif dans l’optimisation de ses mouvements en général pour éviter tout type de blessure. Cela peut s’avérer très efficace notamment pour détecter et établir les profils de risques des athlètes en pré-saison.

Crédits : motionanalysis.com

 

ViMove 2 est un petit appareil « wearable » (accessoire connecté) qui permet au choix d’avoir des informations précises sur l’analyse de la course, des mouvements du dos ou des mouvements des genoux du sportif. Dans le cas du LCA, utiliser ViMove2 permet donc d’évaluer la cinématique du genou lorsque le patient effectue des mouvements dynamiques. Il permettrait de mesurer avec précision l’amplitude, la vitesse et la direction du mouvement du genou dans deux plans tout en effectuant des tests à grande vitesse pour évaluer le mouvement du genou lors de tests de saut vertical et de squats. Toutes les données sont ensuite envoyées dans le logiciel qui permet d’interpréter les résultats. Cela peut être utilisé également pour l’optimisation des performances, la prévention des blessures, mais également pour assurer un return-to-play en toute sécurité.

 

Crédits : dorsavi.com

 

 Tout le contenu de cet article est présenté à titre informatif. Il ne remplace en aucun cas l’avis ou la visite d’un professionnel de santé.

 

Sources :

Della Villa F, Buckthorpe M, Grassi A, et al. Br J Sports Med Epub ahead of print: 2020. doi:10.1136/ bjsports-2019-101247. Accord de l’auteur.

Hewett, T. E., Ford, K. R., Hoogenboom, B. J., & Myer, G. D. (2010). Understanding and preventing acl injuries: current biomechanical and epidemiologic considerations - update 2010. North American Journal of Sports Physical Therapy : NAJSPT, 5(4), 234–251. Retrieved from. Accord de l'auteur.

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