L’imagerie motrice : l’imaginaire comme allié de la performance

Publié le : 8 novembre 2020 à 09h40

Article rédigé par Thibaut Garçon

 

La représentation, l’analyse et l’exécution précises d’un mouvement sportif sont des composantes primordiales chez les sportifs de haut niveau. S’entrainer à la représentation mentale d’un mouvement est devenu devenu de plus en plus commun dans le quotidien d’athlètes toujours à la recherche d’optimisation des performances notamment dans les sports demandant une gestuelle millimétrée avec un temps de réaction rapide et une répétition  rigoureuse des mouvements. Le sport de haut niveau demande toutes ces qualités c’est pourquoi on retrouve ce type d’entrainement régulièrement, mais d’autant plus dans les sports automobiles, le golf, la danse, etc. C’est dans ces domaines que les neurosciences sont d’une aide précieuse pour améliorer les performances motrices des sportifs, mais également une aide pour les coachs ou les préparateurs physiques permettant une nouvelle approche qu’elle soit en matière de rééducation ou d’amélioration de performance.

L’imagerie motrice (IM) se définit comme « une capacité cognitive et dynamique impliquant la représentation cérébrale d'une action, sans son exécution motrice réelle » (Ferran Cuenca-Martínez et al. 2020). On la retrouve aussi décrite comme étant « un état mental conscient et dynamique au cours duquel la représentation d'un mouvement donné est imaginée et intégrée dans la mémoire neuromusculaire sous forme de tâche motrice  (mémoire à court terme) sans réponse musculaire et sans mouvement gestuel associé » (Aidan et al., 2020). L’application pratique la plus répandue de l’imagerie motrice est appelée « pratique d’imagerie motrice » ou « pratique mentale » et résulte donc en la répétition toujours imagée (dite cérébrale) d’une représentation de mouvements précis sans exécution. Couplée à la pratique réelle, l’imagerie motrice permet d’acquérir un meilleur schéma moteur d’un mouvement que l’on souhaite, comme exécuter un mouvement de danse.

 

 

Théories et explications de l’imagerie motrice

 L’exploration clinique de l’imagerie motrice implique une base de connaissance sur les neurosciences. Nombreuses sont les théories s’étant penchées sur la question et sur les relations entre la pensée et son impact sur l’activité cérébrale.

Une première théorie est celle de « l’émulation de la représentation » instaurée par Grush et al, en 2004. Cette dernière explique que lors d’une imagerie motrice, notre cerveau crée un modèle visuel entre le corps et l’environnement. Le cerveau produit par la suite une copie sensori-motrice de cette représentation pour créer une attente ou une prédiction sensorielle. L’utilisation répétée de cette technique permettrait donc d’anticiper les sensations d’un mouvement afin de perfectionner des schémas moteurs ou également d’en créer de nouveaux. Pour une représentation plus juste du mouvement dans son environnement, il s’avère utile de coupler cette technique avec de « l’observation d’entrainement » afin de solliciter la vision et d’établir des représentations plus précises dans l’espace.

Une deuxième théorie plus récente a été introduite en 2017 par Glover et al. ont introduit le concept de « modèle cognitivo-moteur » (motor-cognitive model) de l’imagerie motrice. La cognition regroupe l’ensemble des fonctions dites supérieures du cerveau comme la mémoire, le langage ou alors l’apprentissage. C’est dans cette idée que cette théorie s’est construite, en effet lors d’une imagerie motrice, « le contrôle de la création du mouvement dépend consciemment de l'image initiale créée » et donc des représentations initiales d’un sujet. Si un sujet possède une représentation détaillée d’un mouvement, il sera plus enclin à créer une image mentale proche de la réalité et de demander moins d’effort cognitif. Cependant les actions peu développées par un sujet pourraient créer une image motrice peu fiable et imprécise impliquant une charge cognitive et une concentration plus importante.

Cette représentation cognitive est déterminante, car lors de l’exécution d’une nouvelle tâche motrice réelle, la première étape est appelée « phase cognitive » et correspond à la construction de l’image motrice pour répondre à un problème. Par la suite, plus le mouvement sera automatisé, moins la charge cognitive sera importante. On peut alors conclure ici que l’acquisition d’une nouvelle tâche peut se faire par l’exploration mentale d’un sujet et donc par l’imagerie motrice.

À travers ces théories, on comprend l’intérêt pour un sportif d’intégrer cette technique de travail dans une perspective d’optimisation des schémas moteurs existants ou alors pour faciliter l’acquisition d’une nouvelle tâche motrice.

Découvrez notre échange avec le Pr. GUILLOT Aymeric, pionnier de l'imagerie mentale en France: 

 

 

Exercices d’imagerie motrice

L’imagerie motrice n’est pas exclusive à une seule pratique, mais est incluse dans plusieurs modalités différentes d’interventions. Nous allons ici vous donner quelques exemples issus de différentes lectures (cette liste n’est pas exhaustive et ne remplace en rien l’avis d’un professionnel spécialisé).

En rééducation, dans la phase initiale d’un traitement après un traumatisme (exemple: ligamentoplastie) ou autre opération orthopédique :

 

  • La thérapie miroir : technique pour laquelle un miroir est utilisé afin de refléter le membre sain tandis que le membre lésé lui se place derrière le miroir. Le but : exécuter le mouvement à partir du membre sain (par exemple : faire une flexion de coude), analyser et ressentir ce mouvement pour ensuite se l’imaginer du côté lésé. Cette méthode est souvent utilisée pour des pathologies neurologiques comme l’AVC.

 

  • Représentation mentale : technique de réflexion mentale qui se base sur un mouvement analytique simple pour laquelle on demande au sujet de se représenter un mouvement souhaité (par exemple : visualiser une flexion de genou) les yeux fermés. Cette technique peut également être adaptée pour des mouvements plus complexes en début de rééducation comme par exemple la visualisation mentale de la marche, ce qui demande de découper celle-ci en plusieurs séquences de mouvement à s’

 

Chez des personnes saines, dans l’objectif d’une amélioration plus poussée des performances sportives :

 

  • Représentation mentale répétée d’un geste ou « pratique d’imagerie motrice » (cf introduction et définitions) : Au préalable, un sujet peut-être questionné sur son habilité à donner dans l’ordre les différentes étapes d’un geste précis comme le « putting » d’un golfeur. Un nombre de mouvements est alors décrit et chaque séquence est attribuée à un numéro. Dès lors, l’exercice fusionne avec la mémoire et l’imagerie motrice dans lequel on demande au sujet de se répéter mentalement l’exécution du geste sur un nombre d’essais prédéfini. La représentation motrice part de l’élaboration du mouvement (pour le putt par exemple : poser la balle au sol) à la finalisation de ce dernier (pour le putt par exemple : visualiser la trajectoire de la balle jusqu’à sa retombée au sol ou dans le trou). Elle ne se limite pas seulement à l’exécution du geste, mais aussi à sa préparation et à ses conséquences (Kim et al. 2017).

 

  • Le « script » : souvent utilisée en pré-compétition ou avant un match, il s’agit d’une technique qui associe l’imagerie motrice et l’écoute d’une « histoire » énoncée par un intervenant extérieur. Elle permet de visualiser l’ambiance générale d’une compétition, se répéter une succession de gestes forcés par le locuteur dans un but précis et surtout adaptable en fonction de l’environnement. Pour aider la fabrication et l’invention de script, des recommandations existent et ont été introduites par Williams et al, en 2013.

 

  • Représentation interne et représentation externe : ces méthodes peuvent être incluses dans n’importe quel exercice d’imagerie motrice, mais diffèrent juste dans le point de vue de sa représentation. En point de vue interne, on se met à la place des yeux de la personne imaginée tandis qu’en représentation externe, le point de vue est à la 3e personne. Les bénéfices de l’imagerie motrice seraient plus importants en point de vue interne.

 

  • L’observation d’entrainement ou l’analyse vidéo : couplé à des exercices d’imagerie motrice, c’est « la représentation interne d'un ensemble de mouvements imaginés par un observateur lors de la visualisation en direct des mouvements » (Ferran Cuenca-Martínez et al. 2020). On l’associe généralement comme la tâche qui précède l’imagerie motrice pour permettre une représentation plus réelle du geste.

 

Imagerie motrice et performance

À travers l’ensemble des données et des informations énoncées, nombreux sont les auteurs à s’être intéressé à son utilité en rééducation ou en accompagnement de la performance.

En accord avec la littérature, on constate que l’imagerie motrice peut entrainer une diminution de la douleur (à la mobilisation passive et à la marche notamment), mais attention, les conclusions des études sont hétérogènes ne nous permettant pas d’affirmer clairement cette position. L’imagerie motrice permettrait une augmentation des amplitudes articulaires à la marche et une augmentation de la force musculaire. Selon Moukarzel et al. (2017) l’augmentation de la force musculaire serait expliquée, car « la répétition mentale peut avoir amélioré la préparation des mouvements et favorisé la réorganisation corticale, entrainant ainsi un meilleur recrutement périphérique et une meilleure synchronisation des unités motrices ».

Dans de nombreux sports, l’importance de l’acquisition d’une gestuelle parfaite peut faire de grandes différences notamment dans les sports avec des gestes répétitifs ou dans la mémorisation de chorégraphies. Dans de très nombreux cas, l’entrainement à l’imagerie motrice favoriserait l’automatisation des gestuelles et les performances de ces dernières que ce soit en force ou en précision au fur et à mesure des séances d’imagerie motrice. Dana et al. en 2017, montre une amélioration de la précision au service, coup droit et revers chez des joueurs de tennis par exemple. Enfin, Battaglia et al. en 2014, ont voulu savoir si des entrainements d’imagerie motrice couplés à un entrainement normal chez des gymnastes pouvaient avoir un effet sur les performances lors de saut. Comparativement au groupe sans imagerie motrice, il constate que les durées de temps de saut et de contact au sol étaient améliorées significativement pour le groupe entrainé avec l’imagerie motrice. L’imagerie motrice améliorerait aussi la coordination agoniste/antagoniste en plus d’une amélioration de la force musculaire.

 

 

Afin de comprendre l’ensemble de ces améliorations, il est important de parler de la notion de plasticité cérébrale. En effet, il s’agit de la capacité interne du cerveau à réorganiser les connexions neuronales afin de créer de nouveaux schémas moteurs qui dépendent de l’environnement et des expériences personnelles. Grâce aux entrainements à l’imagerie motrice, le cerveau va ainsi s’entrainer à visualiser de manière quasi réelle, un mouvement imaginé. Au fur et à mesure des entrainements, on peut constater que les aires cérébrales utilisées lors d’une imagerie motrice vont se rapprocher des aires cérébrales utilisées de manière automatique pour le même mouvement réel. L’automatisation sera donc plus rapide et l’acquisition du geste perdurera, améliorant par la suite la précision et la force.

 

Conclusion

Le concept d’imagerie motrice est un concept scientifique très poussé qui demande des bases en neurosciences solides pour être étudié. Cependant son intégration dans une routine d’entrainement reste abordable à tout point de vue, car il ne nécessite aucun cout financier et peut être réalisé à n’importe quel moment de la journée et dans n’importe quel endroit. Une fois la technique d’imagerie motrice correctement assimilée par le sportif elle peut être pratiquée sans être supervisée par un professionnel. L’imagerie motrice peut s’avérer être une alternative très novatrice quand on sait que la performance de nos jours se joue à de très petits détails. Il existe de très nombreuses façons d’utiliser cette méthode et cela peut être intéressant pour allier le geste, la concentration (via la respiration notamment) et la performance.

Cette technique va au-delà de la perfection gestuelle, car elle permet également une amélioration des fonctions cognitives comme la mémoire et l’apprentissage, mais joue également un rôle sur la gestion du stress et sur l’appréhension d’évènements majeurs.

 

Nouvelles technologies

L’entreprise Mentalista est une entreprise française spécialisée dans l’interaction cerveau-environnement. Leur principal objectif est de développer des logiciels et des algorithmes qui permettent de traduire les pensées en mouvements réels ou virtuels. Entre autres, ils arrivent à récupérer les ondes cérébrales issues du cortex visuel pendant une imagerie motrice avec des capteurs et si ces ondes correspondent à celles perçues pendant le même mouvement réel (enregistrés au préalable formant ainsi une référence), l’objet bouge.

 

Crédits : Mentalista


Entre autres, Mentalista a développé Mentalista Football, une activité dans laquelle 2 adversaires doivent imaginer un mouvement de la balle vers un but adverse afin de faire bouger une balle (appelée « Sphero »), contrôlée par des capteurs appliqués sur le crâne. Cette initiative révolutionnaire pourrait donc être un exercice d’échauffement mental ou de routine chez des populations sportives afin de lier l’imaginaire au réel.

 

Austech VR : La combinaison de la réalité virtuelle avec l’imagerie motrice semble porter ses fruits pour augmenter les bénéfices de cette dernière. En effet, Austech VR a développé un outil de réalité virtuelle se basant sur le principe de l’observation ou analyse vidéo que nous avons évoqué précédemment, mais de manière beaucoup plus immersive afin de maximiser les avantages de l’imagerie motrice. Il s’agit du principe de répétition de réalité virtuelle. L’observateur voit un athlète réaliser un geste correctement exécuté en boucle ( lancer franc au basket par exemple) et s’imagine réaliser les mouvements lui-même. Cet outil peut également avoir des avantages en matière de rééducation pour conserver le patient proche de son sport grâce à un environnement virtuel. 

 

Crédits : Austech VR

 

 

Tout le contenu de cet article est présenté à titre informatif. Il ne remplace en aucun cas l’avis ou la visite d’un professionnel de santé.

 

Sources :

Cuenca-Martínez, F., Suso-Martí, L., León-Hernández, J. V., & La Touche, R. (2020). The Role of Movement Representation Techniques in the Motor Learning Process : A Neurophysiological Hypothesis and a Narrative Review. Brain Sciences, 10(1), 27 - Article sous Licence Creative Commons 4.0 CC-BY

Moran, A., & OShea, H. (2020). Motor Imagery Practice and Cognitive Processes. Frontiers in Psychology, 11, 1‑5. - Article sous Licence Creative Commons CC-BY

Grush, R. (2004). The emulation theory of representation : Motor control, imagery, and perception. Behavioral and Brain Sciences, 27(3), 377‑396.

Glover, S., & Baran, M. (2017). The motor-cognitive model of motor imagery : Evidence from timing errors in simulated reaching and grasping. Journal of Experimental Psychology : Human Perception and Performance, 43(7), 1359‑1375. 

Kim, T., Frank, C., & Schack, T. (2017). A Systematic Investigation of the Effect of Action Observation Training and Motor Imagery Training on the Development of Mental Representation Structure and Skill Performance. Frontiers in Human Neuroscience, 11, 1‑13. - Article sous Licence Creative Commons CC-BY

Williams, S. E., Cooley, S. J., Newell, E., Weibull, F., & Cumming, J. (2013). Seeing the Difference : Developing Effective Imagery Scripts for Athletes. Journal of Sport Psychology in Action, 4(2), 109‑121.

Moukarzel, M., Di Rienzo, F., Lahoud, J.-C., Hoyek, F., Collet, C., Guillot, A., & Hoyek, N. (2017). The therapeutic role of motor imagery during the acute phase after total knee arthroplasty : a pilot study. Disability and Rehabilitation, 41(8), 926‑933.

Dana, A., & Gozalzadeh, E. (2017). Internal and External Imagery Effects on Tennis Skills Among Novices. Perceptual and Motor Skills, 124(5), 1022‑1043.

Battaglia, C., DArtibale, E., Fiorilli, G., Piazza, M., Tsopani, D., Giombini, A., Calcagno, G., & di Cagno, A. (2014). Use of video observation and motor imagery on jumping performance in national rhythmic gymnastics athletes.

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