Le Kinésiotape (KT) : entre mauvaise utilisation et idées reçues, qu’en dit la littérature?

Publié le : 17 octobre 2020 à 20h22

Article rédigé par Thibaut Garçon

 

Qu’est-ce que le Kinésiotape ?

L’utilisation de bandages adhésifs (strapping,taping,contention,…) a gagné en popularité depuis plus d’une décennie dans le monde du sport. En effet, cette nouvelle méthode d’intervention est très souvent appréciée chez les sportifs de haut niveau, car ils permettent de rassurer le thérapeute et également le sportif. Ces bandages restent importants en phase d’immobilisation pour les bandages de type « athlétiques ou strapping », mais surtout dans la phase de reprise du sport (ou RTP en anglais) pour permettre un retour au jeu avec une plus grande sécurité.

À l’intérieur de tout ce panel de bandages, l’un d’entre eux est venu se placer en avant grâce à ses propriétés intrinsèques et ses couleurs vives : le Kinésiotape.

Le Kinésiotape (ou KT) a été mis en place dans les années 70 par le Dr Kenzo Kase. En comparaison avec des bandages plus classiques retrouvés dans le sport (bandages dits « athlétiques ou strapping »), le Kinésiotape est un bandage plus élastique qui favorise le mouvement (aujourd’hui retrouvé aussi sous plusieurs noms, dont le « Leukotape »).

Les propriétés physiques de ce produit ont comme objectif de ressembler à celles de la peau (élasticité, poids, épaisseur…) Dans le but de modifier sa morphologie et de leurrer le cerveau et ses récepteurs périphériques. Il a été décrit que le Kinésiotape aurait un impact positif sur la proprioception, mais également sur la circulation sanguine et lymphatique (Delaire et al. 2014). Ils sont devenus très populaires, car mis en avant lors de compétitions sportives majeures et donc vues par de nombreux téléspectateurs. Le marché de vente de Kinésiotape a ensuite explosé et ce produit s’est alors retrouvé dans les mains de professionnels de santé plus larges (en contact de populations sportives) et souvent non informés sur sa bonne utilisation et ses effets potentiels. Dès lors, de nombreuses questions se sont posées sur son utilisation et ses effets sur la performance sportive ou sur la rééducation du sportif.

 

Rappels sur l’anatomie de la peau

Grâce aux travaux de recherche anatomique, la peau est aujourd’hui décrite en plusieurs couches qui se superposent les unes par rapport aux autres. Ces couches sont au nombre de trois qui, de la plus superficielle à la plus profonde, sont :

  • L’épiderme : couche non vascularisée, avec la présence de kératinocytes qui protègent des UV et des mélanocytes qui donnent sa pigmentation à la peau.
  • Le derme : couche traversée par les vaisseaux sanguins et les nerfs comprenant les fibroblastes qui synthétise le collagène et donne l’élasticité à notre peau.
  • L’hypoderme : contenant le tissu adipeux.

 

Il est très important de notifier que ces couches de fibres et de cellules ne sont pas individualisées, mais représentent un continuum ayant un impact les unes avec les autres. (Guimberteau et al. 2010) De ce fait, appliquer une bande sur la partie la plus superficielle de la peau pourrait donc influencer l’ensemble des couches tissulaires, et c’est dans cette idée que fonctionne le Kinésiotape.

En effet, les bandages classiques (plutôt inélastiques et compressifs) ont tendance à venir comprimer la peau et donc l’ensemble des tissus (vasculaires, nerveux, musculaires). À l’inverse, le Kinésiotape, de par ses propriétés élastiques, va plus contribuer à venir « ouvrir » l’ensemble de ces systèmes et venir augmenter la surface des différentes couches de la peau (Cho et al. 2016). Appliqué sur la peau, il viendrait activer plus grandement ces systèmes et jouer un rôle sur les récepteurs nociceptifs (de la douleur), proprioceptifs, mais aussi sur la partie vasculaire et lymphatique entre autres.

Le Kinésiotape

Indications d’utilisation du Kinésiotape:

De manière classique, le Kinésiotape est indiqué dans de nombreuses situations pour le patient sportif ou non sportif :

  • Pathologie musculaire ou aponévrotique : pour l’augmentation du phénomène inflammatoire, augmenter la vascularisation et favoriser la cicatrisation, pour activer ou inhiber la réponse musculaire.
  • Pathologie articulaire : pour la stabilité, le confort et stimuler les récepteurs nociceptifs.
  • Problème lymphatique ou circulatoire : œdème, hématomes, lymphœdème.
  • Diminution de la sensation de douleur : en lien avec une des problématiques citées ci-dessus.

 

Ces problématiques sont multiples chez le sportif et demandent une prise en charge adaptée.

 

Contre-indications et effets secondaires du Kinésiotape

Attention à ne pas utiliser le Kinésiotape dans les cas suivants (liste non exhaustive, l’avis d’un professionnel de santé est préconisé) : peau irritée ou éruption cutanée, suspicion de thrombose, sur une plaie ouverte ou une cicatrice non fermée, sur une lésion aiguë et prudence chez la femme enceinte sur la région sacrée et chez des sportifs présentant une perte ou diminution de la sensibilité superficielle.

À long terme la pose de Kinésiotape peut entrainer des réactions allergiques désagréables.

 

Kinésiotape et évidence based pratique (EPB), qu’en dit la littérature ?

  • Modalités d’application

Le Kinésiotape est un bandage fabriqué à l’aide de nombreux composants. Une étude de Selva et al, de 2019 a permis d’établir une base de données sur l’ensemble des paramètres de cette bande élastique chez 19 entreprises différentes et sur 4 couleurs différentes pour chaque fournisseur. Le Kinésiotape a donc une capacité de pré-étirement (étirement avec le papier collé à l’arrière), d’étirement (étirement sans papier à l’arrière, étirement propre de la bande), une capacité à rompre et des adhérences sur peau sèche ou mouillée différentes entre chaque fournisseur de Kinésiotape. De ce fait, il est primordial de se référer aux propriétés de chaque bande et de les tester avant de les poser sur un patient.

 

Afin d’être le plus efficace possible suivant les indications citées précédemment, voici les différents montages possibles d’utilisation du Kinésiotape :

  • Technique musculaire : la bande de Kinésiotape doit être appliquée à 75 % de son étirement maximal. Pour une activation on va produire une tension qui va de l’origine à l’insertion d’un muscle et pour une inhibition on va l’appliquer de l’insertion à l’origine du muscle (Lee et al. 2020). Un autre montage suggérerait de poser la bande avec une tension nulle sur un muscle en étirement maximal (Kerkour et al. 2009).

 

  • Technique articulaire, aux extrémités (cheville,poignet) : la bande de Kinésiotape doit être appliquée entre 50 et 75 % de son étirement maximal (Tekin et al. 2018, Yen et al. 2018) pour activer les mécanorécepteurs cutanés (proprioceptif).

 

  • Technique articulaire hors extrémités (épaule, hanche, genou, etc) : La bande doit être appliquée avec une tension maximale  (Kerkour et al. 2009).

  • Technique circulatoire : la bande de Kinésiotape est découpée en éventail (photo ci-dessus) avec une base qui se place au niveau des ganglions proximaux jusqu’à la distalité du membre sans aucune tension. (Kerkour et al. 2009)

 

Une information primordiale à retenir est la notion d’étirement du Kinésiotape. En effet dans l’étude de Selva et al. (2019) les auteurs montrent que l’étirement d’une bande varie de 37 % à 67 % supplémentaire en comparaison avec sa longueur initiale. Il y a donc une variabilité très grande entre les différentes bandes et donc il faut savoir au préalable sur chaque bande posée qu’elle est sa longueur maximale d’étirement et ne pas appliquer les mêmes modalités d’application entre différents fournisseurs.

On constate donc une très grande variabilité d’application du Kinésiotape en fonction de différentes problématiques rencontrées, mais que nous dit la littérature sur les effets de ces modalités d’application ?

 

  • Principales conclusions de la littérature

 

Sur les fonctions musculaires (force, vitesse ou endurance) et sur les effets sur la proprioception (équilibre statique, dynamique), il n’existe aucun consensus sur la validité des effets potentiels du Kinésiotape. Les résultats très contradictoires des très nombreuses études ne peuvent pas nous affirmer l’efficacité de ce type de bandages sur les fonctions musculaires et sur la proprioception.

Une récente méta-analyse de Cupler et al. (2020) nous résume les niveaux de preuves liées aux méthodes de taping utilisées pour diverses pathologies.

Pour la prise en charge d’entorses de grade I, II ou III, le niveau de preuve d’une utilisation de Kinésiotape est modéré avec une tendance plutôt négative sur son utilisation en lien avec une rééducation de la proprioception notamment.

Bagheri et al. en 2018 a étudié l’impact de la pause de Kinésiotape sur le triceps sural. La pause de kinésiotape respectait les modalités d’application « activatrice » (pour augmenter les performances musculaires) ou « inhibitrice » (pour diminuer l’activité musculaire et diminuer la douleur). Les auteurs constatent une augmentation de l’activité à l’EMG sur une pause de Kinésiotape « activateur » et une diminution sur une pause de Kinésiotape « inhibiteur » sur des contractions isométriques.

Cependant lors de son utilisation sur des performances physiques en dynamique (saut verticaux par exemple), Cheung et al. en 2016 n’ont montré aucune différence entre l’application de Kinésiotape ou l’application d’un tape « placebo ».

Au niveau circulatoire, beaucoup d’auteurs ont pu étudier l’impact du Kinésiotape notamment sur le système lymphatique et le lymphœdème (dans le cancer du sein le plus souvent). Les résultats sont dans l’ensemble positifs sur la diminution de l'œdème pour l’utilisation du Kinésiotape. Cependant, il ne serait pas plus efficace que d’autres interventions classiques comme le drainage manuel, l’utilisation de bandages de contention ou l’utilisation de manchons compressifs.

Sur la prise en charge post-opératoire d’un œdème et de l’hématome, une revue systématique de Hörmann et al. (2020) nous explique qu’il y a une efficacité clinique prouvée et observable. De plus, associé avec du drainage lymphatique manuel, le Kinésiotape aurait un effet augmenté sur la résorption de l’œdème et de l’hématome en comparaison avec ces techniques utilisées séparément. Mais du fait des niveaux de preuves faibles et des différents biais entre chaque étude, la littérature ne peut pas indiquer le Kinésiotape en recommandations de la prise en charge de ces problématiques.

 

En termes d’efficacité sur la douleur, une méta-analyse de Montalvo et al. (2014) sur plus de 10 ans de données scientifiques a étudié l’efficacité du Kinésiotape sur la douleur sur différentes pathologies et en comparaison avec d’autres interventions. Le Kinésiotape aurait un effet sur la diminution de la douleur, mais pas de manière plus efficace que d’autres modalités d’interventions. Un effet placebo serait aussi lié à cette utilisation et ne doit pas être négligé par les thérapeutes. Les seules preuves bénéfiques à son utilisation avec un niveau de preuve élevé seraient pour une prise en charge sur la douleur et les invalidités liées à la lombalgie chronique (restriction de mobilité entre autres).

 

Conclusion

L’utilisation de bandages est une modalité très à la mode aujourd’hui et de très nombreux fournisseurs offrent la possibilité à un accès facile pour le professionnel de santé ou le sportif. À travers ces explications, il semble très clair d’adopter les bons discours face à l’utilisation du Kinésiotape.

Il est impossible de dire que cette méthode est plus efficace qu’une autre sur la performance musculaire, la proprioception, le système circulatoire et lymphatique ou encore sur la réduction de la douleur, mais cela ne signifie pas qu’il n’existe aucun bénéfice à son utilisation. Les effets propres du Kinésiotape ne sont pas scientifiquement prouvés et les études manquent cruellement de bons niveaux de preuves. Il ne faut surtout pas négliger ses effets placebo qui renforceraient ses bénéfices.

L’utilisation seule du Kinésiotape tend à être inefficace, mais il n’en reste pas moins un adjuvant à ne pas négliger en association à d’autres techniques plus traditionnelles, car très facile d’utilisation et peu couteux. Cependant, les différentes modalités d’application doivent être respectées et en avoir la connaissance est à la base d’un traitement efficace.

Le Kinésiotape est souvent apprécié par les thérapeutes et les sportifs. Bien utilisé, il reste une technique à ne pas négliger suivant les préférences des praticiens.

 

Nouvelles technologies 

BV sport est une société française qui propose un ensemble de textiles et accessoires pour les sportifs en se basant sur le principe de la compression qui permettrait, à travers différentes gammes de produits, d’améliorer les performances lors de la course en repoussant le seuil de fatigue musculaire et favoriserait une récupération de meilleure qualité en accélérant l’élimination des déchets métaboliques accumulés pendant l’effort. Ces produits peuvent offrir une alternative au Kinésiotape chez le sportif. Très présents chez les sportifs de haut niveau, ce type de technologies facile d’implantation pourrait s’avérer être un atout pour réduire le risque de blessure musculaire.

 

Tout le contenu de cet article est présenté à titre informatif. Il ne remplace en aucun l’avis ou la visite d’un professionnel de santé.

 

Sources:

Kerkour, K., & Meier, J.-L. (2009). Bandages adhésifs élastiques de couleur : description et application pratique. Rev Med Suisse, volume 15, 1560‑1563.

Delaire, M. (2014). Les bandages adhésifs de couleur : un nouveau concept. Kinésithérapie, la Revue, 14(147), 17‑21.

Guimberteau, J.-C., Delage, J.-P., & Wong, J. (2010). Faire peau neuve. Annales de Chirurgie Plastique Esthétique, 55(4), 255‑266.

Cho, H.-, Kim, E.-H., Kim, J., & Yoon, Y. W. (2016). Kinesio Taping Improves Pain, Range of Motion, and Proprioception in Older Patients with Knee Osteoarthritis. American Journal of Physical Medicine & Rehabilitation, 94(3), 192‑200.

Selva, F., Pardo, A., Aguado, X., Montava, I., Gil-Santos, L., & Barrios, C. (2019). A study of reproducibility of kinesiology tape applications : review, reliability and validity. BMC Musculoskeletal Disorders, 20(1), 20‑153. Article sous Licence Creative Commons 4.0 CC-BY

Lee, H., & Lim, H. (2020). Effects of Double-Taped Kinesio Taping on Pain and Functional Performance due to Muscle Fatigue in Young Males : A Randomized Controlled Trial. Int J Environ Res Public Health ., 17(7)-2364. Article sous Licence Creative Commons 4.0 CC-BY

Tekin, D., Agopyan, A., & Baltaci, G. (2018). Balance Training in Modern Dancers Proprioceptive-Neuromuscular Training vs Kinesio Taping. Med Probl Perform Art, 156‑165.

Yen, S.-C., Folmar, E., Friend, K. A., Wang, Y.-C., & Chui, K. K. (2018). Effects of kinesiotaping and athletic taping on ankle kinematics during walking in individuals with chronic ankle instability : A pilot study. Gait & Posture, 66, 118‑123.

Cupler, Z. A., Alrwaily, M., Polakowski, E., Mathers, K. S., & Schneider, M. J. (2020). Taping for conditions of the musculoskeletal system : an evidence map review. Chiropractic & Manual Therapies, 28(1). Article sous Licence Creative Commons 4.0 CC-BY.

Bagheri, R., Pourahmadi, M. R., Sarmadi, A. R., Takamjani, I. E., Torkaman, G., & Fazeli, S. H. (2018). What is the effect and mechanism of kinesiology tape on muscle activity ? Journal of Bodywork and Movement Therapies, 22(2), 266‑275.

Cheung, R. T. H., Yau, Q. K. C., Wong, K., Lau, P., So, A., Chan, N., Kwok, C., Poon, K. Y., & Yung, P. S. H. (2016). Kinesiology tape does not promote vertical jumping performance : A deceptive crossover trial. Manual Therapy, 21, 89‑93.

Hörmann, J., Vach, W., Jakob, M., Seghers, S., & Saxer, F. (2020). Kinesiotaping for postoperative oedema – what is the evidence ? A systematic review. BMC Sports Science, Medicine and Rehabilitation, 12(1), 13102-020-00162‑00163. Article sous Licence Creative Commons 4.0 CC-BY

Montalvo, A. M., Cara, E. L., & Myer, G. D. (2014). Effect of Kinesiology Taping on Pain in Individuals With Musculoskeletal Injuries : Systematic Review and Meta-Analysis. The Physician and Sportsmedicine, 42(2), 48‑57.

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