Rééducation des affectations de l’épaule : l’importance de considérer le concept des chaînes cinétiques

Publié le : 11 juillet 2020 à 22h33

Article rédigé par Nathan Touati et Antoine Frechaud

 

La rééducation de l’épaule est complexe. Il s’agit d’une articulation possédant beaucoup de mouvements différents dans une multitude de plans ainsi que dans de nombreuses structures musculaires, tendineuses et ligamentaires. Lorsqu’un mouvement n’est pas exécuté de la bonne manière ou que la structure est sur sollicité, les contraintes appliquées sur l’épaule entrainent donc des lésions (tendinopathies de la coiffe, conflit subacromial, etc.). Le sport et le mouvement réalisé par l’athlète sont très importants à prendre en compte. Vous pouvez d’ailleurs retrouver notre Grand Format N°1 sur l’épaule chez l’athlète « overhead » afin d’y trouver les facteurs de risques, mécanismes de lésions, adaptations anatomiques de l'épaule chez ce type de sportif. Dans cet article, nous allons nous intéresser plus particulièrement à l’importance de la chaine cinétique lors de la rééducation de l’épaule.

Qu’est-ce que la chaîne cinétique ?

Dans les sports impliquant l’épaule comme générateur de mouvement, il est important de garder une chose en tête : le complexe de l’épaule ne travaille jamais en isolation, mais il fait partie intégrante de l’ensemble du système musculosquelettique. Il est donc extrêmement important de considérer cela pour axer la rééducation.

Le terme chaîne cinétique (CC) fait référence à l'activation séquentielle spécifique à une tâche des segments du corps pendant l’exécution de mouvement fonctionnel. Une CC efficace générera, et permettra un transfert d'énergie mécanique efficace tout au long de la chaîne contribuant au mouvement. Une inefficacité au sein de la chaîne à n’importe quel « niveau » a le potentiel d'affecter négativement le transfert de force vers les segments adjacents, ce qui peut nécessiter que d'autres composants de la chaîne augmentent leur contribution et activité pour compenser la perte d'énergie. Cela a été décrit comme un facteur prédisposant qui augmente le risque de blessure à l'épaule et de douleur chez les athlètes overhead (type de mouvement lorsque le bras s’élève au-dessus de la tête).

 

En pratique

Nous allons voir ici donc plusieurs exemples de sports pour lesquels la finalité du mouvement est un geste utilisant l’épaule. Et grâce a plusieurs études, nous constatons que même si l’on pense que l’essentiel du mouvement se joue au niveau de l’épaule, d’autres structures sont grandement impliquées :

Au tennis, la jambe et le tronc génèrent de 50% à 55% de l'énergie cinétique totale requise pour le service.

La stabilité lombo-pelvienne de la hanche et l'activation des muscles fessiers sont des conditions essentielles pour un lancer de baseball efficace.

La réduction de la force d'abduction de la hanche et de l'amplitude des mouvements de la hanche a également été associée à un risque accru de blessure à l'épaule et au coude chez les athlètes lanceurs.

De plus, des taux de transfert d'énergie sensiblement plus élevés à travers le complexe de l'épaule ont été observés lors d'un service de tennis chez des joueurs blessés par rapport à leurs homologues non blessés. Les athlètes overhead souffrant de blessures aux membres inférieurs semblent également avoir un risque accru de blessures et de douleurs aux membres supérieurs, ainsi que des performances réduites.

La puissance maximale des membres inférieurs s'est avérée être le principal déterminant de la vitesse de lancer chez les joueurs professionnels de handball et également fortement corrélée avec la vitesse de nage chez les nageurs de nage libre. De plus, la vitesse maximale de mouvement et la masse musculaire du membre inférieur auraient été corrélées de manière significative avec les performances de lancer de javelot chez les athlètes d'élite.

Nous voyons donc que les performances ne proviennent pas de l’épaule uniquement, mais d’un ensemble musculosquelettique qui travail en synergie pour maximiser la vitesse ou précision du mouvement tout en assurant sa sécurité.

Les exercices d'épaule isolés n'affecte pas forcément les schémas d'activation musculaire pathologiques globaux observés chez les personnes souffrant de blessures à l'épaule. Les exercices d'épaule isolés peuvent remédier aux déficits de force locaux certes, mais les déficits de force locaux ne sont pas définitivement associés aux blessures à l'épaule.

 

Activité musculaire de l’épaule lors de l’implication de la jambe ou du complexe lombo-pelvien lors du mouvement

L’étude de l’ajout du mouvement des membres inférieurs et du tronc dans les exercices d’épaule a influencé l’activité sur les EMG (éléctromyogramme) et les modèles de recrutement autour du complexe d’épaule. Dans l’ensemble, les résultats suggèrent que l’intégration du travail en CC dans les exercices d’épaule peut améliorer le recrutement des muscles axioscapulaires, produire des rapports musculaires au niveau des trapèzes plus bas et réduire les demandes sur la coiffe des rotateurs.

La restauration d'un équilibre de la co-activation des muscles axioscapulaires (serratus antérieur + trapèzes) est considérée comme une composante importante des programmes de rééducation de l'épaule. Un manque d'activité dans le trapèze inférieur (TI), le trapèze moyen (TM) et le serratus antérieur (SA) en combinaison avec une activité excessive du trapèze supérieur (TS) est régulièrement décrite. Ainsi, les rapports TS / TI, TS / TM et TS / SA ont été fréquemment évalués dans la littérature, des ratios <1 étant jugés souhaitables.

Les exercices en CC ont systématiquement produit des ratios musculaires TS / TI et TM / TI inférieurs à ceux de leurs homologues nCC (non chaîne cinétique).

La rotation externe debout de l'épaule à 0 degré d'abduction avec l'ajout de la rotation du tronc et de la hanche a produit le rapport TS / TI le plus bas (0,2).

 

Cools et al ont conclu que l'élimination de l'effet de la gravité sur le trapèze supérieur conduisait à ces rapports favorables. Cependant, cette inférence n’explique pas pourquoi le rapport TS / TI le plus favorable dans l’étude de Yamauchi et al. a été noté pendant la station debout (voir vidéo). L'ajout d'une rotation du tronc et de la hanche, ainsi que le transfert de poids latéral observé qui a couplé ce mouvement, semble avoir amélioré le recrutement du trapèze inférieur.

 

Reconnaitre les différentes chaînes cinétiques en fonction des sports : Focus Tennis et Natation

Le travail de chaîne cinétique doit être adapté au sport de l’athlète le plus rapidement possible afin de normaliser les ratios d’activité musculaires dans les mouvements spécifiques au sport. Pour cela nous allons faire une brève revue des chaînes cinétiques en fonctions des sports :

 

Natation : La prévalence de douleur à l’épaule chez les nageurs professionnels a atteint les 91% récemment. Un travail en position de pronation allongée sur table sera à privilégier. Cela permet de réduire la gravité comme dans des conditions aquatiques et c’est dans cette position que l’athlète opère. Lors de la nage, l’épaule fonctionne avec une coordination du tronc : une rotation et extension au niveau thoracique au moment du « body roll ». Il faudra donc penser à intégrer ces composantes lors des exercices en phases finales de rééducation.

 

Élévations latérales en rotation externe dans le plan scapulaire combiné à une rotation du tronc en position quadrupède:

 

Tennis : Kibler a calculé que 51 % de l’énergie cinétique totale et 54 % de la force totale sont développés au sein des relations entre jambe/hanche/tronc et peuvent être définis comme les générateurs de force de la chaîne cinétique. Pour produire une force optimale et soulager les contraintes sur l’épaule qui compensera le manque de force des structures distales, d’autres éléments sont donc à prendre en compte : lors de la phase d’armée du service par exemple, le genou avant doit être fléchi à plus de 15°.

Selon Van der Hoeven et Kibler, le transfert d’énergie optimal (plus performant et moins traumatisant) dépendrait du timing des rotations du tronc. En l’occurrence les joueurs blessés possèdent en général des timings plus tardifs que leurs homologues sains. Pour être plus précis, chez les joueurs blessés le haut de leur torse se tourne après leur pelvis. 

L’hypothèse suivante a donc été émise : toute perturbation de l’action d’un segment proximal de la chaîne cinétique causée par un mauvais timing conduirait à augmenter les contraintes mécaniques sur les articulations épaule, coude et poignet et à diminuer la vitesse de balle.

Des programmes d’entraînement et des exercices techniques qui développent les sensations proprioceptives du tronc et du bras peuvent peut-être améliorer la maîtrise temporelle des rotations de ces segments et atténuer les contraintes articulaires au niveau du membre supérieur.

 

 

Tout le contenu de cet article est présenté à titre informatif. Il ne remplace en aucun cas l’avis ou la visite d’un professionnel de santé.

 

Sources :

Richardson, E., Lewis, J. S., Gibson, J., Morgan, C., Halaki, M., Ginn, K., & Yeowell, G. (2020). Role of the kinetic chain in shoulder rehabilitation: does incorporating the trunk and lower limb into shoulder exercise regimes influence shoulder muscle recruitment patterns? Systematic review of electromyography studies. BMJ open sport & exercise medicine, 6(1), e000683. https://doi.org/10.1136/bmjsem-2019-000683. Article sous licence Creative Commons CC BY NC. 4.0.

De Martino, I., & Rodeo, S. A. (2018). The Swimmer's Shoulder: Multi-directional Instability. Current reviews in musculoskeletal medicine, 11(2), 167–171. https://doi.org/10.1007/s12178-018-9485-0

Caroline Martin. Analyse biomécanique du service au tennis : lien avec la performance et les patholo- gies du membre supérieur. Education. Université Rennes 2, 2013. Français. NNT : 2013REN20042 .

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