Interview #1 Léana Bineau

Publié le : 4 août 2019 à 08h35

Les interviews Neuroxtrain sont une nouvelle catégorie du site, il s’agit d’échanger avec un athlète sur le haut niveau, sa carrière, tout en inscrivant l’interview dans la chronologie du site : de la blessure à la performance. À travers les questions, j’essaye de développer une ligne conductrice visant à aborder chacun des différents thèmes dans lesquels vous pouvez retrouver les articles du dimanche.

 

Pour cette première interview Neuroxtrain, je retrouve Léana Bineau, joueuse de football à L’Olympique de Valence ayant connu le plus haut niveau féminin avec qui j’ai eu le plaisir d’échanger lors de sa rééducation au CERS de Capbreton.

  • Bonjour Léana, tout d’abord merci de prendre le temps pour cette interview. Peux-tu te présenter sportivement en quelques mots ?
  • Bonjour, avec plaisir. J’ai commencé le football à l’âge de 10 ans dans un petit club en Ardèche dans lequel j’ai joué pendant 5 ans, malheureusement au fur et à mesure du temps je ne pouvais plus jouer avec les garçons donc il a fallu aller jouer avec les filles même si je me sentais vraiment bien dans un monde un peu plus masculin ou l’on apprends un petit peu plus techniquement, physiquement etc. J’ai tout de même eu la chance d’intégrer le Pôle Espoir à Lyon dans lequel j’ai effectué mes 3 années de lycée, cours le matin et puis foot l’après-midi. Le weekend, pour les matchs, j’ai fait une première année en D2 au sein de L’AS Véore-Montoison, un club proche de Valence et puis j’ai ensuite été recrutée par l’AS Saint Etienne pour jouer en U19 Nationaux pendant deux saisons et j’ai également eu la chance d’intégrer le groupe D1 à la fin de mon cursus. J’ai également joué pour l’équipe de France de u16 à u18. Après une période de réflexion, j’ai décidé de partir en Angleterre au sein de l’équipe des Queens Park Rangers à Londres, durant 6 mois. C’était une très bonne expérience de découvrir une nouvelle culture, un nouveau football, bien plus physique qu’en France, des préparations physiques sans ballon basées sur l’aérobie. J’ai par la suite pris la décision de rentrer sur Valence pour poursuivre mes études et de rejoindre le club de l’Olympique de Valence depuis 4 ans aujourd’hui, afin d’évoluer en D2 et malheureusement nous sommes descendus en DH (équivalent de la troisième division chez les hommes : N1 et depuis deux ans, nous jouons les play-offs pour remonter en D2 qui est l’objectif. J’ai réalisé la plupart de ma carrière en tant que gardienne, bien que je sois                  attaquante à la base. C’est lors d’un tournoi durant lequel j’ai remplacé notre gardienne blessée qui m’a permis de poursuivre ma carrière à ce poste. Malheureusement à cause d’une fracture du scaphoïde j’ai dû quitter le poste de gardienne pour reprendre place en tant qu’attaquante.

 

  • Tu as donc évolué au plus haut niveau, avec l’équipe de France, l’ASSE, le Pôle espoir, de quoi est synonyme le « haut niveau » pour toi ?
  • C’est pour moi synonyme vraiment d’exigence et d’investissement, mais sur du long terme, car c’est donné à « beaucoup » de monde d’avoir du talent, mais c’est le travail sur le long terme qui pour moi fait la différence sur le haut niveau. Cela implique une charge de travail importante si l’on veut atteindre les objectifs qu’on s’est fixés. Il y a également un travail de l’ombre qui n’est pas à négliger tel que le sommeil, la nutrition, la récupération, qui peuvent faire la différence sur une compétition, mais également sur la longévité d’une carrière.
  • As-tu ressenti des différences dans le « haut niveau féminin », que tu pourrais évoquer en comparaison avec ce que nous voyons chez les hommes ?
  • J’ai eu la chance d’être dans une structure au niveau de la FFF donc c’est vrai que nous avons quand même eu des moyens qui étaient mis à disposition (préparateurs physiques, kinésithérapeutes, prépa mentale, médecin, nutritionniste), mais c’est vrai que si l’on regarde à l’heure actuelle le sport féminin et le sport masculin, on peut voir qu’il y a une forte différence en termes de médiatisation, mais c’est en train d’évoluer, je pense que les fédérations vont plus investir pour les filles, mais également que les clubs vont suivre. Grâce à la coupe du monde, cela peut attirer des sponsors qui permettront d’augmenter les budgets et d’avoir des structures plus développées pour le haut niveau féminin.

 

  • Très bien. Et d’ailleurs cette coupe du monde, qu’en as-tu pensé ?
  • (Rires). Alors je n’aime pas comparer le football féminin et le football masculin, car pour moi il n’y a qu’un seul football même si les hommes et les femmes ont des spécificités anatomiques qui sont différentes que nous ne pouvons pas nier. Que ce soit un homme ou une femme, si nous lui mettons les moyens à disposition pour jouer à haut niveau, il ou elle pourra le faire. La coupe du monde féminine a pour moi été une bonne pub pour le foot féminin qui en France n’arrive pas à décoller. Il faut savoir aujourd’hui qu’il y a jusqu’à 7x plus de licenciés dans un pays comme l’Allemagne. Une augmentation de ces derniers en France est donc prévue ce qui va permettre de pouvoir développer les structures en France et au plus il y aura de licencies, au plus il y aura de concurrence et de performance au haut niveau. Si l’on regarde la coupe du monde qu’a fait la France, je pense qu’elles auraient pu aller chercher le titre au vu des qualités qu’elles ont. On a eu du mal à trouver nos attaquantes et a développer un jeu vers l’avant. C’est vraiment dommage, car l’équipe possède de réelles qualités.

 

  • Et donc tu as côtoyé certaines filles qui ont joué la coupe du monde ?
  • Oui, il y en a 5 ou 6 avec qui j’ai pu jouer en sélections jeunes, ça me fait donc très plaisir de les voir jouer à ce niveau-là, car en plus elles ont été pour moi les meilleures sur la coupe du monde donc je suis heureuse de voir que la jeunesse à laquelle j’ai « participé » arrive aujourd’hui à s’imposer au haut niveau. Cela prouve que le travail réalisé au sein de la préformation et de la formation est en train de porter ses fruits.

 

Blessures et Soins

  • Nous allons donc revenir à ton cas personnel, puisque tu es blessée actuellement, et en pleine rééducation. Peux-tu nous parler de ta blessure ?
  • Il s’agit d’une récidive sur une rupture du ligament croisé antérieur. Je me suis fait ma première blessure le 27 Mai 2017 sur un appui, seule lors du dernier match de la saison. Je me suis ensuite faite opérée au moins de juin via un DIDT et ma rééducation s’est bien passée, mais malheureusement l’année suivante au mois de Mars, je fais mon retour à la compétition et sur un tacle la greffe a lâché. D’emblée je savais ce que c’était. J’ai tout de même passé un IRM qui a diagnostiqué une rupture partielle du LCA. Le ligament n’était donc pas totalement rompu j’ai alors fait 6 mois de rééducation intensive pour au final début du mois d’aout me faire réopéré en utilisant la technique Kenneth Jones avec un renfort Lemaire, car je sentais que le ligament n’était pas stable. Ça fait maintenant 9 mois que je suis en convalescence et que j’essaye de revenir pour la prochaine saison.

 

Accélérer le retour à la compétition :

  • Pour revenir au meilleur niveau, as-tu une structure dans laquelle tu réalises ta rééducation ?
  • Le club de l’olympique de Valence met en place un dispositif médical (kinésithérapeutes, préparateurs physiques), mais ce n’est pas un club pro, nous n’avons pas une structure complète, c’est pour ça que je suis ici au CERS de Capbreton, pour retrouver un corps médical beaucoup plus complet et une rééducation plus adaptée à ma blessure.

 

  • Qu’est-ce qui est essentiel pour toi, afin de revenir au meilleur niveau ?
  • J’essaie vraiment de profiter de tout ce qu’il y a ici. Nous avons la chance d’être dans une structure où nous sommes accompagnés par des professionnels qui ont de l’expérience. J’essaye de me donner à fond, de ne pas tricher et de mesurer l’écart qu’il pourrait y avoir ici et une rééducation à Valence chose qui est complètement différente.

 

Physiologie de l’effort

  • Une rééducation au CERS doit être assez intense, éprouvante, en quoi consiste une journée type ?
  • Chacun a une journée type en fonction de sa blessure, car il s’agit d’un accompagnement qui est personnalisé. Moi personnellement je ressens des douleurs à la pointe de la rotule, donc on essaye de soigner ça. Une journée type :

9h : Je suis en salle de rééducation dans laquelle j’ai un programme de renforcement du bas du corps : quadriceps, IJ, fessiers, adducteurs et mobilité.

9 :30 : Cardio, programme d’une demi-heure sur le vélo ce qui permet de préparer le retour à la compétition.

10-12H : Rééducation du bas du corps en utilisant des machines telles que le Biodex qui permet de travailler correctement en concentrique et en excentrique.

11 :30 : Je passe sur table avec la kinésithérapeute avec laquelle je fais le point tous les jours sur mes douleurs, sur l’avancée et mes sensations. C’est vraiment top.

12-14 : Repas et sieste.

14-14h30 : Reprise avec de l’électrostimulation, ce qui permet de réveiller mon vaste interne qui est toujours un peu faible. 

14h30-15h30 : Musculation haut du corps et rééducation.

15h30-17H : Je termine la journée par de la balnéothérapie , afin de travailler autrement et d’alléger les charges afin de soulager le genou. Je termine la journée vers 17h avec un programme de cryothérapie pour la régénération musculaire.

 

Plateau Rio, Réathlètisation de Léana, CERS Capbreton

Améliorer la récupération :

 

  • Comment se passe ta récupération ? Tu as déjà évoqué des techniques comme le sommeil, peux-tu nous en parler un peu plus ?
  • Nous avons des temps de repos, entre midi et deux par exemple j’en profite vraiment pour me reposer correctement. La cryothérapie, 5x 1min de chaud et 1min de froid me permet de vraiment voir la différence quand je le fais et quand je ne le fais pas (rires). Je remonte dans ma chambre 3x par jour pour glacer mon genou pour éviter qu’il gonfle et diminuer les douleurs. Je pense que la récupération passe aussi dans l’alimentation, j’essaye d’éviter tous les aliments de types inflammatoires. Nous avons accès à une diéteticienne qui peut nous guider sur certaines choses, mais sans avoir la prétention de dire que je connais la nutrition, je connais les principes et les bases grâce à ma carrière, qu’il faut appliquer.

 

Optimiser les performances :

 

  • Cette blessure va-t-elle changer ta manière de t’entrainer ?
  • Cela va clairement changer ma manière de travailler, car maintenant j’écoute beaucoup plus mon corps. En étant blessée je pense qu’il faut travailler plus que certaines personnes en « bonne santé» qui n’ont pas forcement de blessure. Je pense qu’il faut écouter son corps afin d’être plus performant à long terme. Quelques fois on se sent bien, on n’a pas forcément envie d’écouter le kiné on a envie d’en faire plus et en fait on se compte que non effectivement le retour à la réalité est difficile. Il faut écouter les gens qui sont là pour nous, qui ont fait des études, qui sont là pour ça et qui ont de l’expérience. Cela va donc clairement changer ma manière de travailler. Je fonce moins tête baissée, je suis moins « tête brulée », je vais essayer de réfléchir un petit peu avant de faire les choses, sur quelles conséquences cet exercice va impacter mon corps sur le moment et sur le lendemain.

 

  • Tes objectifs pour la suite ? Que peut on te souhaiter Léana ?
  • Je vise la reprise de la saison 2019-2020 et faire une saison pleine. Je souhaite me sentir bien, me sentir en confiance, quitte à repartir d’un peu plus bas dans un premier temps et de pouvoir évoluer en fonction des sensations que j’aurai et puis par la suite j’aimerai retrouver la D2 et le plaisir du haut niveau qui me manque terriblement.

 

Interview réalisée par Nathan Touati. 

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